Keystroke One est une étape importante pour Bully Records. La compilation Lunch Money Singles mise de côté, il s'agit du premier album sorti par le label montréalais de hip-hop instrumental avant la réédition du Duration de Sixtoo et le disque de P-Love. Jusqu'ici, seuls des maxis ou des EP avaient été proposés. Celui qui a l'honneur d'inaugurer ce format longue durée est ElekTro4. Ce n'est sans doute pas le collaborateur le plus connu du label, pourtant ce producteur new-yorkais, également batteur à ses heures, approche de la trentaine, et il officie comme DJ depuis le début des années 90. A l'heure actuelle, outre une vieille collaboration avec Adeem, son principal fait d'arme est sa participation au Sleep No More que DJ Signify a sorti l'an passé chez Lex. ElekTro4 avait participé au mix final de l'album et il co-produisait le single "Winters Going" sur lequel s'exprimait Buck 65. Sur Keystroke One, Signify lui rend la pareille en s'arrogeant les cuts, pendant que Sixtoo se charge du mastering et de la pochette.

ELEKTRO4 - Keystroke One

Voilà pour les présentations. C'est bon, vous situez mieux ?

Maintenant, passons au cœur du sujet. Il y a en fait deux disques en un sur Keystroke One, deux concepts-albums. Le premier, Portrait Of The City, est une évocation de cette bonne vieille ville de New-York. A coups de samples de classiques rap, ElekTro4 nous rappelle qu'elle est le berceau du hip hop ("Jaywalking"). Il souligne son caractère cosmopolite par des petites touches de dub et de reggae ("Call from the Planet") ou par quelques paroles en français au charme rétro ("Rainy Day Picnic"). Il instille un peu de malaise urbain le temps d'une "Pause", qui évoque les plages les plus extrêmes de Can. La seconde partie de l'album, The Suicide Suite, met en musique le macabre cheminement vers le suicide. Elle s'ouvre avec "Three Views Of A Secret", un hommage à Jaco Pastorius qui s'ouvre sur des accents jazz et se termine dans des "ouh ouh" et des percussions débridées. Plus tard, s'imposent une guitare acoustique ("The Explain Nation"), des beats pesants relayés par un piano ("Daily Medication"), un instrumental à suspens ("After Shocks"), ainsi qu'un orgue contemplatif ("A House With No Mirrors").

Keystroke One sent le talent, mais malheureusement, il n'échappe pas au syndrome "musique d'ambiance", ce vice du hip-hop instrumental. Les compositions d'ElekTro4 se laissent oublier. Pour vraiment accrocher à ce disque, pour qu'il prenne plus d'ampleur, il faut une grande envolée, comme "Velvet". Ou alors il faut passer directement à la seconde partie, moins anodine que la première, surtout avec cette très belle clôture en apothéose dont le nom justement est "Closure ?". A propos, appréciez le point d'interrogation de ce dernier titre et interprétez-le des deux façons suivantes : 1 - nous ne savons pas si la mort est vraiment l'issue de cette Suicide Suite ; 2 - nous sommes invités à nous demander de quoi demain sera fait pour ElekTro4. Aux dernières nouvelles, il préparerait un album avec un rappeur, Prolyphic. Nous pourrons donc voir bientôt ce que donne tout ce savoir-faire une fois habillé de paroles.

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