Perdus au fin fond de la banlieue nord, les DJ’s des Fresh Makers (Stepfather Swing, D-Seker, DJ Proteze) pourraient parfaitement ne pas se distinguer de la masse de hip-hopers qui pullulent en Région Parisienne. Seulement voilà. Armés d’une discothèque au-dessus de la moyenne et d’une envie de se faire plaisir qui n’a que faire des règles supposées du hip hop, les trois compères ont su livrer ces derniers mois, ensemble, en duo ou en solo, une petite série de mixtapes nourries à l’éclectisme jubilatoire des Invisibl Skratch Piklz et plus réjouissantes que ce qui nous parvient habituellement de France. Rencontre avec trois petits gars sympas comme on aimerait en croiser plus souvent.

Est-ce qu’on peut parler d’une scène de Gonesse ?

DS : On risque de pouvoir parler d’une scène de Gonesse. Surtout au niveau des DJ’s. On est à peu près six sept.

Vous êtes identifiés ici à Gonesse comme les DJ’s de Gonesse ?

Ca commence, on en parle un peu, mais on est pas du genre non plus à clamer "Gonesse Represent !".

Y a d’autres rappeurs qui sont connus dans le coin ou pas du tout ?

Il y en a quelques uns qui ont fait des trucs, ici, juste à côté, qui font du rap français. Du rap français mais en un peu underground, un peu intello. Enfin, pas gangsta rap. Parmi les DJ's il y a Test, Taz (plus orienté musique électro, house), Diky, la Tonneau Team, E-Man... Mais on ne s’identifie pas à "la scène de Gonesse", on est un collectif de DJ’s. On se connaît, on se sent bien ensemble au niveau musical.

Justement, vous êtes nombreux, et j’aimerais savoir qui vous êtes, qui sont les Fresh Makers, qui sont les autres ?

Pour l’instant les Fresh Makers c’est plutôt tous les trois, D-Seker, Proteze et Stepfather Swing.

Et les spécialités de chacun ?

Chez les Fresh Makers, on est tous aux platines. Sinon, on fait aussi des productions.

Et donc, autour des Fresh Makers il y a plein d’autres gens ?

Quand même oui. Il y a A.B.C.E.S.H qui rappe, et avec qui on essaie de faire un truc. C’est un vieux rappeur. Il était là quand il y avait Radio Nova. Et en fait il n’a jamais réussi vraiment à gérer une carrière pour lui. Par contre, il a pas mal poussé d’autres gens à faire des trucs et d’un point de vue artistique, il ne se retrouve pas vraiment dans la scène française et dans tout ce qui se fait. On l’a revu il y a environ deux ans. On a pris contact et tout, et on a essayé de travailler ensemble. Bon, faut essayer de le pousser au maximum, parce qu’il a du mal à y aller. Mais là ça y est, c’est en bonne voie. Il a des textes qui changent bien, il a une voix... Je pense que peu de rappeurs français ont une voix comme lui. Si on arrive à faire quelque chose ça risque d’être terrible.

Vous cherchiez un rappeur depuis longtemps ?

Oui... Enfin un rappeur avec qui on s’entend bien. Nous par exemple, ce qu’on aime en ce moment en rap français, c’est Donkishot. C’est le truc qu’on écoute vraiment.

Et sur toute la scène TTC, La Caution, Le Klub des Loosers, tout ça, un jugement ?

DS : C’est une très très bonne chose. Ca nous a fait reprendre confiance dans le rap français, justement. En rap français c’est ce qu’on écoute. Avec Donkishot quand même avant tout.

Vous avez pu écouter Sortez vos Mouchoirs ???

Non. On l’attend.

Vous cherchez vraiment désespérément un rappeur ou vous êtes toujours intéressés par le fait de faire du pur deejaying, ou du hip hop instrumental ?

Artistiquement, on a pas envie de se mettre trop de barrières. On aimerait bien produire plusieurs rappeurs différents. Et si un jour on avait l’occasion de produire des Américains, alors... Enfin des américains underground ce serait le pied. Mais on veut monter un groupe, et pas avec n’importe quel rappeur.

Et ces rappeurs américains avec lesquels vous collaboreriez dans un monde idéal ?

Il y en a plein. MF Doom (rires). C’est notre chouchou. Sinon Saafir, ou Anti-Pop. Can Ox...

Justement, vos références en rap américain, puisqu’on a parlé du rap français ?

Company Flow, c’est clair. Ou les vieux trucs : NWA qu’on a bien écouté. Ou le Check your Head des Beastie Boys.

Justement, puisqu’on parle de vieux rap, vous avez toujours été dans le hip hop ?

Ah non non (rires).

Vous parliez de Co-Flow. Et votre réaction par rapport à tout ce qui s’est passé à la fin des années 90’s avec les indépendants tout ça. C’est ça qui vous a amené au hip hop, vous y étiez avant ?

On y était avant, mais ça nous a aidé à y être définitivement. Surtout les premières sorties de Rawkus tout ça, Funcrusher. C’est là où on s’est dit vraiment qu’il se passait quelque chose qu’on ne trouvait pas dans le rap français, à ce moment tout du moins.

Et maintenant ?

Un petit peu.

DS : je suis franchement trop un fan de Donkishot. J’y reviens là, mais bon...

P : fan de... On va faire une rencontre Donkishot / D-Seker (rires).

Et Company Flow, comment vous les avez découverts ?

C’était dans Playstation Magazine.

Dans Playstation Magazine ??? Ils parlaient de Company Flow ?

SSW : oui, j’ai acheté Funcrusher comme ça. Grâce au magazine de mon petit frère (rires).

Il y en a un qui a joué un rôle par rapport aux autres dans votre groupe ou vous avez évolué parallèlement ?

Plus récemment, ça a plutôt été Proteze. Grâce à Internet.

Vous avez le même parcours ou des parcours différents ?

On a à peu près le même au final. Ca vient de nos parents qui écoutaient du rock, du vieux hard rock, de la musique planante. Pink Floyd. Puis les trucs punk. Fela Kuti aussi. Après, en ce qui nous concerne, on s’est plutôt mis aux musiques plutôt hardcore. Même si on écoutait déjà du dub, ou du rap. Après on a découvert les musiques électroniques. Et puis on s’est mis définitivement dans le rap.

Vous gardez toujours une oreille sur les autres genres ?

Ah oui oui. De la pop. POPvolume#3 (rires).

Vous avez tous POPvolume#3 chez vous c’est bon ?

Quelques morceaux (rires). Mais Proteze est le plus pop de nous trois. Sinon, pour revenir sur nous trois, je pense que la part créative c’est quand même plus Stepfather Swing. Mais c’est aussi celui qui a le plus de temps et depuis le plus longtemps.

Justement, j’allais insiter sur les différences. Parce que quand on écoute la dernière mixtape des Fresh Makers, La Leçon, on s’aperçoit qu’il y a une partie plus sélection qui est celle de DJ Proteze et une partie plus turntablism qui est celle de Stepfather Swing.

En fait, tout est parti d’une mixtape Proteze, ça a motivé Stepfather Swing et après il s’y est mis.

C’est pas un partage des tâches éternel ?

Non non, la prochaine fois on fera tout ensemble. Ca peut partir dans tous les sens.

Au fait, on a le droit de parler de Lachatesal ? On a le droit de savoir que c’est toi ?

P : oui, c’est grillé.

Pourquoi un autre pseudo ?

P : parce que Lachatesal, il est un peu plus... punk.

C’était une mixtape de rap, pas une mixtape de punk.

P : oui, mais c’était plus crade. C’est marrant de changer de blaze. Mais les gens que je connais m’ont reconnu.

Sinon, c’est qui vos références en deejaying ?

ISP. Mixmaster Mike surtout. Et Q-Bert. Craze, A-Trak. Scratch Perverts. Mr. Dibbs. Les gars qui ont une ouverture d’esprit.

Et en turntablism français ?

Khod, Shone. Audiomicid quoi. Ca commence à s’améliorer en France.

Vous pensez qu’il y a plus de bons DJ’s que de bons MC’s en France ?

Déjà il y a peut-être moins de DJ’s que de MC’s. Ou alors ils sont moins exposés. C’est pas comme aux States où tu as vraiment des soirées turntablism, avec que des DJ’s qui font leur show, comme à San Francisco, avec Shortkut, Cut Chemist et tout. Ou alors ce sera du mix.

Vous avez fait deux mixtapes. Sinon il y a les Rondes Enfantines du Vilain Petit Proteze. Il y a eu quoi d’autre jusqu’ici ?

Rien.

Et il y aura quoi à l’avenir ?

On espère un maxi avec A.B.C.E.S.H. Après, ça dépendra de comment ça se passe sur le moment. On a des instrus. Et il faut faire de la scène. Et le turntablism toujours.

Donc là vous cherchez à faire de la scène. Vous cherchez un label aussi ?

Oui, on aimerait trouver.

Vous n’avez pas pensé fonder le vôtre ?

Dans le futur. Pour l’instant on a pas assez de notoriété. On n’a pas vraiment le public. Ca serait un peu risqué.

Donc d’abord faire de la scène. Vous en avez fait ?

Non, pas trop, à part les championnats.

Et qu’en est-il des relations entre les Fresh Makers et Loaso. C’est un ami, c’est quoi ?

C’est un pote de longue date. C’est un ami. On n’exclue pas de travailler un jour avec lui, de faire quelque chose de plus sérieux. On a déjà posé des scratches sur ses morceaux. En fait, on jouait dans un groupe avant avec Loaso. Loaso était le leader, il chantait. Il faisait de la basse aussi.

Lui c’est l’individualiste, il fait ses trucs tout seul ?

Il est peut-être plus introverti aussi. Dans sa musique en tous les cas. Il habite assez loin, et il ne cherche pas spécialement à se lancer. Il fait ses trucs, pas mal de cassettes.

Lui apparemment c’est plus un producteur qu’un DJ ?

Oui. C’est un musicien.

Vos disques et votre matière première ? Vous la trouvez où ? Vous pratiquez le crate-digging ?

On utilise tout et n’importe quoi. C’est Loaso qui les achète pour Proteze. Il fait les brocantes, il sillonne le Val d’Oise. Et puis les disques à nos parents. Il y a toujours des trucs à faire, toujours des boucles à trouver, n’importe quoi. En fait, si on achète ça c’est qu’on manque de moyens. Au final on se trouve avec des disques... Bon, on cherche avec. Stepfather Swing utilise bien Amanda Lear (rires).

Vous l’avez trouvé où le Amanda Lear ?

C’est un pote qui nous l’a donné. Mais il n’y a rien à jeter dans les disques. Il y a toujours un truc, toujours une boucle.

Et qu’est-ce que fout Queen sur votre mixtape ?

C’est Flash Gordon. Ca a été samplé par El-P d’ailleurs.

Puisqu’on parle de la mixtape. Vous avez l’air de bien assumer votre passé rock. Or, la mixtape commence par quelques notes de Nirvana... Le premier rappeur puriste vous dira facilement "ouais t’es un fan de Nirvana".

C’est juste parce que c’était un peu patate (rires). Ca s’enchaînait bien. On a écouté Nirvana bien sûr, mais on s’en fout un peu. On aurait pu mettre un autre truc. Amanda Lear tu vois (rires). Les DJ’s samplent tout, ils samplent des disques de rock, donc... On va pas chercher à changer.

Autres activités hip hop sinon ?

Oui. Il y a D-Seker qui peint.

Du graff ?

DS : non, je n’ai jamais été tenté. Mais peut-être un jour.

Tu as la même ambition pour tes peintures que pour ta musique ?

DS : non. C’est du travail. C’est pour moi et les gens que je connais. Plus tard, quand j’aurais quarante ans, on verra. Mais sinon, je ne me sens pas au niveau.

Au fait, pourquoi ne te voit-on pas sur la dernière mixtape des Fresh Maker ?

DS : il n’y a que deux faces (rires). Sinon, j’ai pas de platine chez moi en ce moment, j’ai plus de mal à bosser.

Ca vous arrive de faire des battles entre vous des fois ?

Oui, des fois. On l’a même fait par téléphone. C’était de chez nos parents. Quand ils ont vu la facture (rires)...

C’est surtout l’aspect musical du hip hop qui vous intéresse ?

Non, toute la culture. Mais on ne se sent pas assez bon pour faire autre chose que de la musique.

Bon, la question rituelle, la playlist de chacun d’entre vous. Pas nécessairement quelque chose qui soit sorti récemment.

DS : ce sera pareil pour Stepfather Swing et moi je pense. Donkishot, Quasimoto, MF Doom, MF Grimm. Ca c’est ce qui tourne en ce moment.

P : Busdriver.

Et les vieux trucs que vous écoutez depuis des années ?

En hip hop ?

Non, pas seulement, on s’en fiche.

Santana, Hendrix. Beastie Boys, Check your Head notre grand classique. NTM. Fela.

Vous préférez Check your Head à Paul's Boutique ?

Ouais, on trouve le travail plus intéressant.

Généralement, les rockeurs préfèrent Check your Head et les rappeurs Paul's Boutique. Vous pensez que c’est vrai ?

Ces deux albums c’est pas les mêmes. On trouve Check your Head plus novateur au niveau du son, du travail du son. Le mélange analogique / numérique. En fait il est plus funk que rock. Dans Check your Head, il n’y a plus les Dust Brothers. Ce sont eux qui ont tout pris en charge suit une discussion sur Money Mark. La façon de travailler était hyper intéressante, le fait qu’ils aient été enfermés. Ils ont pu y travailler tranquille, se détendre en même temps, ce devait être génial. Ca correspondait à une époque pour nous aussi.

Justement puisqu’on parle du côté live, ça vous dirait de reprendre vos vieux instruments ? Les mêler comme les Beastie boys à un album hip hop, c’est une démarche qui vous intéresse ?

Quand on aura un studio. Pour l’instant ça arrive régulièrement qu’on sorte nos instruments, on sample nous-mêmes, c’est un moyen de garder un côté live. Mais on n’a pas de studio. C’est aussi pour ça qu’on s’est mis aux platines.

Vous aviez fait des concerts avant de vous mettre aux platines ?

Oui, à la fac de St-Denis, à la Fête de la Musique. C’est plus pratique que de sortir les platines.

Message à transmettre au monde ?

On arrive quoi (rires).