Une critique du second album de Programme ? Mais pourquoi donc ? Alors même que celle que nous avions donnée de cet horrible nihilisme à deux balles n’était pas des plus favorables ? Deux raisons à cela...

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Il y a deux raisons pour chroniquer ce nouvel album de Programme, alors que nous n'avions pas spécialement apprécié le premier : parce qu’entre les deux disques, le groupe et son label ont reconnu, à tort ou à raison, des convergences entre leur démarche et celle d’une bonne portion du hip hop indé, qu’ils ont d’ailleurs partagé la scène avec certains de nos chouchous. Et parce que Mon Cerveau dans ma Bouche, malgré une approche qui nous paraissait assez datée et pas forcément pertinente, montrait en certains endroits des instrus particulièrement inspirées.

Cette inspiration est confirmée sur L’Enfer Tiède, à de multiples moments. Elle est plus visible et plus immédiate que sur le précédent album, Damien Bétous, entre quelques expérimentations assez balourdes et terriblement convenues ("Le Sort", "Et la Ville Disparaît"), longeant de plus près les chemins balisés autrefois par Slint et ses héritiers (la très bonne instru neurasthénique de "Cette Page d'Histoire", les guitares de "Entre Deux Feux", l’obsédant crescendo de "Une Vie") et ceux parcourus en fin de carrière par Diabologum, l’ancien groupe de Michniak.

Celui-ci, le chanteur, ne s’est malheureusement pas départi de son nietzschéisme à deux sous. Toujours aussi fâché, quoique moins ouvertement provocateur, il balance avec témérité ses vérités de post-adolescent, ses réflexions sur les conséquences de nos actions et ses jugements sur une vie dont il n’est arrivé qu’au tiers. Le radical et le courage de la démarche sont en eux-mêmes louables, mais cela n’interdit pas de juger le résultat pour ce qu’il est : inutile et gonflant. Il est conseillé à Michniak d’écouter de toute urgence et de prendre des leçons chez un rappeur comme le Français Donkishot.

Grosso modo, L’Enfer Tiède n’est ni meilleur ni pire que Mon Cerveau dans ma Bouche. Il est dans sa lignée. Conséquence : ceux qui ont décrié Programme autrefois ne se donneront plus la peine d’en faire la pénible exégèse, et ceux qui ont adoré adoreront, sans forcément s’apercevoir que c’est de la musique, parfois assez réussie, que vient le seul prétexte pour apprécier la démarche. De notre côté, nous nous contenterons d’opérer une distinction inhabituelle entre beats et paroles et de considérer une bonne partie de cela comme un gâchis.

Il est vraiment dommage, quand Programme aurait pu s’amender et construire quelque chose sur la table rase de Mon Cerveau dans ma Bouche, de les voir perpétuer les aspects les plus douteux de leur premier album. Vu comme un tout, L’Enfer Tiède ne fait que continuer cette expérimentation benoîte, cette art-faguerie à la française qui n’a jamais cessé d’exister depuis le désastreux rock progressif d’ici, à travers notre relecture purement gauloise de la new wave, à travers notre interprétation erronée de la vague pop indé, aujourd’hui encore chez les habitués naïfs des Instants Chavirés, dans certains articles de la presse musicale pour trentenaires, et bientôt dans le hip hop, maintenant qu’Antipop, Anticon et les rappeurs abstraits les y autorisent.

Il est vraiment dommage, encore, que Programme n’ait pas exploité davantage la richesse purement musicale de certaines compositions du premier album, qu’ils ne se soient pas rendus compte, en dépit des apparences, qu’ils sont sûrement bien meilleurs beatmakers que paroliers.