Est-ce l'affiche alléchante, est-ce la communauté hip hop qui se réveille, ou est-ce l'été qui libère les fans de rap de leurs contraintes scolaires, estudiantines ou professionnelles ? Difficile à dire, mais il y avait bel et bien un monde fou à cette soirée au Batofar. Et encore, toute la soirée, les vigiles pas rigolards de l'endroit avaient bien pris soin de virer sans ménagement les personnes qui confondaient trop ostensiblement salle de concert et coffee shop.

Résultat, même en arrivant à l'avance, il fallait une longue queue pour rejoindre ce qui s'annonçait sans trop de mal comme le concert de l'été parisien. Bienheureux donc ceux qui ont pu assister en entier au warm up des Metaclcrabs, le nouveau collectif de DJ's (DJ Fab, Orgasmic, dEtEcT) qui fêtait ce soir sa naissance officielle. Les autres se seront contentés de reconnaître tant bien que mal les sons de basse et les lyrics déformés qui parvenaient jusqu'à eux à travers la coque de l'embarcation: Edan, Co-Flow, Push Button Objects, etc… Pas évident comme jeu, même pour les connaisseurs.

Le premier concert démarrait cependant assez tard pour permettre à la majorité d'y assister. Heureusement pour elle, car la majorité de la majorité a semblé apprécier Triptik, T.R.I.P.T.I.K. pour les intimes. Les autres, perdus dans la masse, se sont contentés de bouger les cheveux sur les deux premiers titres et de passer la demi-heure suivante quelque part auprès du bar ou en zone de désenfumage, seul endroit à peu près vivable en cette journée caniculaire. Inimaginable ce qu'un bête ventilateur, un air sain et un peu de silence pouvaient être appréciables en cette soirée d'août.

Exit Triptik, enter Le Klub des Loosers. Et là, le fan de hip hop normal, sur-représenté ce soir là, en perd son latin et son rap de rue. Introduites par Tekilatex, deux créatures pénètrent sur scène : Orgasmic, le DJ, arbore une fière perruque blonde qui lui donne un faux air de tennisman suédois, et Fuzati, le MC, se présente chapeau de paille sur le crâne et masque blanc sur le visage. S'en suit le show le plus singulier de la soirée, point d'orgue pour les uns, escroquerie pour les autres. Fuzati, lui, préfère une autre segmentation du public qui se presse devant lui : il le répartit en deux groupes, "suicide" et "overdose", entre deux ou trois célébrations de ses fantasmes sexuels, une allusion à sa compagne cul-de-jatte et des constats philosophes de son implacable "loositude".

Le Klub est en forme, ses titres connus extraits de L'Antre de la Folie et de Gastro Entérite tapent là où ça fait mal, et l'excellent "Baise les Gens" (sur Projet Chaos) plus encore. Le fan de rap normal, comme perdu, agonise pour de bon. Un de ses spécimens appelle désespérément son copain Ben à la rescousse, une nana visiblement dans un état second se met à injurier Fuzati et toute une bande renfrognée qui ne cessait de ronger son frein depuis le début du concert se met soudainement à huer le duo : "dehors, c'est relou !". Mais le MC a beau être un "looser", il mouche royalement tout ce beau monde, prouvant par la même occasion que l'imprévu et l'improvisation ne lui posent pas de problème.

Même aisance en fin de concert, lorsque Fuzati lance une battle avec Cyanure d'ATK, invité surprise et membre comme lui du collectif L'Atelier. La bande de hueurs, toujours renfrognée, se demande décidément ce qu'un MC aussi mordant que Cyanure peut bien fricoter avec les types chelous du Klub des Loosers. Ca doit même encore les travailler à l'heure qu'il est. Un long chemin reste à parcourir aux gens qui ne réagissent même pas quand Tekilatex leur apprend que Bigg Jus sera présent sur la compile Projet Chaos (la vraie star de la soirée). Roméo Buscemi, l'instigateur de la compilation, remarque même, étonné, qu'il suscite plus d'émois que l'ex-Company Flow. Pauvre public rap français, décidément plus fermé sur lui-même que jamais…

La suite du concert est assurée par La Caution et marquée par le retour de l'unanimité dans le public. Hi-Tekk et Nikkfurie, prodigues, donnent tout. Inutile même de connaître les titres à l'avance, et tant pis si leurs paroles complexes et travaillées nécessitent normalement plusieurs écoutes. Tant pis aussi si une chanson connaît un faux départ. Les deux MC's savent qu'un concert réussi dépend de leur présence et retiennent leur audience par la simple efficacité de leurs flows respectifs et de leur jeu de scène sans chichi. Presque tout l'album y passe, et comme le groupe connaît la chanson, il ne se prive pas d'achever et le concert et le public avec 'Les Rues Electriques'/'Toujours Electriques'. Scotchant. Et pourtant, plusieurs habitués des concerts de La Caution observent que c'était là leur représentation la plus faible. C'est dire la présence scénique du groupe…

L'attention vers la scène retombée, il est temps de s'apercevoir qu'il fait décidément très chaud. Des températures extérieures inhumaines, une foule ramassé à fond de cale et un concert endiablé, ça fait beaucoup. Il est donc temps de rechercher quelques courants d'air, histoire de faire sécher la sueur qui coule à flot ou de l'alimenter par force boissons alcoolisées. Dommage pour James Delleck, car une fois parvenu au bar, il n'est plus possible de rebrousser chemin vers le cœur de la salle, tant le public y est dense. D'ailleurs, au passage, merci au sympathique chien de garde même pas vigile qui refusait de laisser passer les gens sous prétexte que "et, c'est fini, c'est pas une autoroute devant !".

Mais peu importe après tout. Même en fond de salle, James Delleck assure. Si l'homme a prouvé sur disque, mp3 et mixtape qu'il savait tout faire (emceeing, production…), il confirme sur scène l'étendu de ses talents, à l'occasion du set le plus varié et le plus éclectique de la soirée. Il arrive même à susciter des "ça change" souriant et bienveillants de la part de fans de rap académique. Rien d'étonnant diront les mauvaises langues pour lesquelles la musique de James Delleck n'est rien d'autre que du rap de rue normal agrémenté d'effets électroniques usés jusqu'à la l'os. Confirmation ou infirmation sur album, très bientôt.

Tekilatex a animé tout du long la soirée à grand coup de "ça va le Batofar ?", et termine tout naturellement avec son propre groupe. Le set est désormais bien rôdé, mais TTC se permet toutefois d'introduire quelques nouveautés. Ca n'est donc plus le glacial 'Subway' et ses lampes torches qui commencent la série, mais Démocrate D… Les uns arborent un sourire béat, tout contents de voir resurgir quelques bons souvenirs. Les autres aussi, mais la nostalgie en moins. La suite est du même tonneau que le concert de février au même endroit, malgré de nombreux ratés techniques, comblés par force "ça va le Batofar ?" et assez facilement pardonnés par le public. Léguman s'adapte aux températures tropicales en exhibant un torse nu et sexy, Rebecca n'est pas là mais ça n'est pas très grave et D'Oz vient faire un tour. Bref, une ambiance bon enfant.

Les Metalcrabs ont beau crever de chaud sous leur carapace, ils finissent la soirée comme elle avait commencé, avec une sélection redoutable de hip hop exigeant. Sauf que cette fois, le public a tout loisir d'écouter l'intégralité du set. A la fin, il ne reste cependant plus que les fans hardcore, tout contents d'assister à la seule soirée qui passe le plus naturellement du monde du MF Doom ou du Scientists of Sound. Ils quittent bientôt le Batofar, repus, satisfaits d'une soirée ou seuls une foule compacte, la canicule et quelques soucis techniques auront joué les empêcheurs de rapper en rond.