De 1996 à 1998, années plus mornes pour le rap, singles underground exceptés, désigner l'album de l'année n'a pas été difficile ; jamais plus de deux ou trois n'ont vraiment dépassé du lot. En 1999, en revanche, la tâche est devenue plus ardue. L'explosion de Rawkus et la révélation au grand jour des scènes indépendantes ont été l'occasion pour de nouveaux artistes de sortir des premiers albums convaincants. Sans compter la contribution de vieilles gloires, peut-être vexées de cette concurrence, revenues au haut de leur forme.

MF DOOM - Operation Doomsday

Difficile, donc, de dresser un bilan sûr et définitif de l'année écoulée, jusqu'à ce que sorte sur Fondle'Em ce premier album de M.F. Doom, possible vainqueur de tous les suffrages, si seulement il bénéficiait d'une meilleure visibilité.

L'excellence de Operation Doomsday n'est pourtant pas une surprise pour qui surveille de près la scène underground new-yorkaise depuis trois ou quatre ans. M.F. Doom est l'auteur d'une bonne série des singles qui ont fait de Fondle'Em le label indépendant le plus apprécié de ce côté-ci de l'Amérique. Tous figurent sur cet album, pas si neuf qu'il en a l'air. Les plus connaisseurs peuvent même remonter à 1991, année de la sortie de Mr. Hood, premier album de KMD, groupe où sévissait un certain Zev Love X, qui n'est autre que le M.F. Doom d'aujourd'hui. Ou plus tôt encore, quand le même accompagnait 3rd Bass sur le Cactus Album.

Compilation plus qu'album, Operation Doomsday ne manque pourtant pas d'unité et de cohérence. Quatre ou cinq traits caractéristiques permettent de caractériser M.F. Doom. Tout d'abord, et sans surprise, ce son lourd et inquiétant, émaillé d'effets bizarres, avec lequel se sont déjà illustrés quelques poids lourds de l'underground new-yorkais, et qu'illustrent à merveille les violons dérangés de "Tick, Tick" (en réalité un sample malsain des Beatles) ou bien encore les cuivres menaçants de "Hey". Mais aussi, des emprûnts larges et répétés au musiques noires les plus lancinantes et sexy, présents sur la quasi totalité des morceaux.

D'autres signatures s'ajoutent à celles-ci. Quelques freestyles, comme "The Hands Of Doom", de nombreux extraits de cartoons (Scoubidou, Les 4 Fantastiques et l'Incroyable Hulk, dont le pire ennemi n'est autre que le Dr Doom qui figure sur la pochette) en guise d'interludes. Mais aussi, les fausses fins : presque à chaque fois, les titres s'achèvent par une courte pause, avant de reprendre pour quelques dizaine de secondes dans une version purement instrumentale. Histoire de démontrer qu'en plus d'être un MC redoutable, M.F. Doom assure sur le plan musical.

A en croire son auteur, l'ambition de Operation Doomsday était de carresser l'auditeur à rebrousse-poil. Le but était de prendre à contre-pied, systématiquement, tous les effets faciles qui risquaient de s'imposer à lui. Cela est probable, et pourtant le résultat est tout autre. L'album, au bout du compte, se laisse facilement écouter. A quelques passages ardus près, il s'avère tout à fait respirable. Au point qu'une meilleure publicité dans l'avenir lui permettra, on espère, d'être pleinement reconnu pour ce qu'il est : l'album le plus emblématique, sinon le meilleur, de cette faste année 1999.

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