Le nom même d'Antipop Consortium, tout comme la pochette arty de leur premier album, dévoile sans grande ambigüité les intentions du trio. Issus du Nuyorican Café et du mouvement Rap Meets Poetry, creuset de la scène spoken word new-yorkaise, High Priest, Beans et M. Sayyid, épaulés par le DJ E. Blaize, proposent avec Tragic Epilogue l'opposé exact de la variété rap devenue à la fin des années 90 la forme dominante des musiques populaires. Rien d'étonnant pour un groupe qui collabore avec DJ Vadim, cite Sun Ra et Ornette Coleman comme influences, a Company Flow et Mike Ladd pour compères, et fréquente des artistes aussi divers qu'Arto Lindsay, Alec Empire ou Vernon Reid.

ANTIPOP CONSORTIUM - Tragic Epilogue

Inutile de chercher un tube chez APC : Tragic Epilogue est un disque qui se mérite. C'est vrai pour la musique, sorte d'électro lent, assemblage de sons synthétiques et dépouillés, hostile aux samples trop voyants et bâtie sur des rythmes travaillées. C'est vrai aussi pour les paroles, obtuses, et scandées magistralement par trois voix mémorables. Cerise sur le gâteau, le trio s'adjoint sur cet album les services de deux rappeurs cultes et virtuoses, deux idoles de l'undergound hip-hop : Pharoahe Monch d'Organized Konfusion, sur l'obsédant "What I Am", et Aceyalone de Freestyle Fellowship sur les sons indiens du long et inquiétant "Heat Rays".

Tout cela est d'une grâce ténébreuse peu entendue depuis Funcrusher Plus, d'une étrangeté comme seul ce cinglé de Kool Keith l'affectionne. Avec le soutenu "Laundry", l'electro incisive de "Nude Paper", le calme malsain de "Your World Is Flat", le futurisme de "Here They Come Now", l'insistant et expérimental "Moon Zero X-M", le rêche "Lift", le free jazz de "Eyewall", le long et langoureux "Sllab", les basses puissantes de "Smores", un "Disorientation" interprété en partie par la rappeuse Apani B et le bizarre "What I Am", Antipop Consortium propose l'une des plus saisissantes suites de titres jamais entendues sur un album rap.

Les atours expérimentaux de Tragic Epilogue et l'étrange poésie de ses trois principaux protagonistes poussent le rap dans de nouvelles directions. Mais en même temps, de manière paradoxale, ils le ramènent à l'époque de Downtown Manhattan quand, au début des années 80, les premiers rappeurs se sont mêlés à l'intelligentsia artistique de New-York, quand rap et musiques électroniques n'avaient pas encore divorcé, et qu'ils enfantaient des sons bizarres et délicieux.

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