Il était écrit que Mos Def deviendrait le porte-drapeau d'un renouveau hip hop. Tout aussi attachant qu'extraverti, déjà bien implanté dans le milieu rap, acteur à ses heures et porte-parole d'une communauté afro-américaine en mal de représentants, tout, depuis son duo avec Talib Kweli sur Black Star concourait à le propulser sur le devant de la scène. Quelle que soit, finalement, la qualité de son premier album solo. Or, pour ne rien gâcher, celui-ci se révèle à la hauteur des espérances.

MOS DEF - Black on Both Sides

Rawkus / PIAS :: 1999 :: acheter ce disque

Brillant, Black on Both Sides l'est d'abord par les thèmes choisis par son auteur. Comme l'indiquent le titre et la pochette de ce premier album, Mos Def n'a en rien renoncé à l'afrocentrisme qui servait de thème majeur à Black Star. Fier de la couleur noire de sa peau, il n'en critique pas moins, sur un 'Mr Nigga' où Q-Tip joue l'invité de marque, la naïveté de ceux qui pensent que la réussite sociale amenuise les préjudices raciaux.

Et comme de bien entendu, Mos Def accompagne cette réflexion sur sa propre négritude du rôle central que le hip hop, voire la musique en général, se doit de jouer auprès de sa communauté. En plus de dénoncer en bloc le style gangsta rap, perversion du genre, sur un excellent "Got", Mos Def rétablit sa vérité sur cette musique supposément blanche qu'est le rock sur "Rock'n Roll". Il vilipende également, dès une brillante introduction ("Fear not of Men") ceux qui considèrent le rap comme un genre moribond.

Ces deux thèmes et les prouesses verbales de Mos Def n'ont en soi rien d'étonnant au vu de son passif musical. Mais ils ne contribuent pas seuls à l'excellence de Black on Both Sides. L'album étonne aussi par la solidité et la diversité de ses compositions. Qu'il s'acoquine avec un grand comme DJ Premier pour "Mathematics", ou qu'il produise lui-même plusieurs morceaux, tout réussit à l'auteur. Mos Def peut s'approprier un style déjà existant ou se livrer à quelques exercices inusuels, ses compositions demeurent d'un niveau égal.

Sur la plupart des plages, on voit Mos Def reproduire à sa façon un jazz hop qui rappelle la patte des Native Tongues (auxquels il est d'ailleurs affilié), sur un ton effacé souvent proche du murmure. Mais, il sait également chanter, comme sur le délicat 'Umi Says', interprété sur fond de jazz 70's, se livrer à un recyclage de la meilleure soul (Aretha Franklin, carrément) sur "Ms Fat Booty", voire signer un émouvant morceau titre instrumental "May-December", en guise de conclusion. Le tout multiplié de clins d'oeil, comme les paroles de "Brooklyn", emprûntées aux Red Hot Chili Peppers, ou la conclusion très Bad Brains de "Rock'n Roll".

On pourrait poursuivre indéfiniment l'éloge de Black on Both Sides, en étaler les qualités à perpétuité : aussi riche sur la forme que sur le fond, éclectique mais cohérent, accessible et inspiré... Mais on ne ferait que résumer une évidence : Mos Def vient de livrer ici un disque complet, appelé à faire date au delà du simple hip hop. Ne le manquez pas.