Nul pays, dans ses marges les plus captivantes, n'a su aussi bien s'approprier et singulariser le hip-hop que le Japon. Contrairement à d'autres, le pays du Soleil Levant ne s'est pas contenté d'adapter cette musique américaine à sa langue et à sa réalité : il l'a parfois complètement métamorphosée, et a su révéler quelques fortes individualités. Parmi celles-ci, une rappeuse passablement excentrique du nom de Rumi, apparue auprès de DJ Baku et du groupe MSC.

RUMI - Hell me WHY??

Le premier album de Rumi, Hell Me Tight aura été férocement expérimental, gothique et éprouvant. Le troisième, Hell Me Nation, lorgnera tout au contraire vers la variété la plus kitsch. Mais le second, Hell me WHY??, à la fois aussi déjanté que le précédent et aussi accessible que le suivant, était à point. La fantasque Japonaise séduisait davantage, mais elle n'était pas encore rentrée dans le rang, loin de là. Ses raps off-beat possédés étaient toujours aussi impressionnants, même (voire surtout ?) pour celui qui ne maîtrise pas la langue. Dans un numéro qui tenait autant du théâtre que du chant, jusqu’à ce "CAT Fight!!" où elle jouait à la chatte effarouchée, Rumi changeait à volonté le timbre et le ton de sa voix, faisant de l'ombre à Primal et O2, ces deux invités mâles dont les raps étaient bien ternes comparés aux siens. Quant aux sons concoctés par plusieurs beatmakers, Goth-Trad, DJ Dogg, Kemui, SKE, Skyfish et le génial O.N.O. (Tha Blue Herb), ils étaient aussi délurés que les raps de notre Japonaise.

Longs "ouh" qui, en introduction, évoquaient une Björk cent fois plus siphonnée que l’originale, orgue fou qui explosait dans un pandémonium drum 'n' bass inextricable sur "Hell Me WHY??", mélodie japonaise traditionnelle maltraitée par de l’électronique sur "heso-CHA", maquina déglinguée sur "Fever!", ambient et chants féminins étranges sur "Gokurakutoshi", petite mélodie craquante sur "Chain", gabber menaçant sur "R.U.M.I. No Yume Wa Yoru Hiraku", belle boucle de piano sur "ZERO", jungle à nouveau sur "CAT Fight!!". Avec Rumi, cela tirait vraiment dans tous les sens, mais cela impressionnait quasiment à chaque fois. Ça faisait remuer la tête, ça charmait, ça terrorisait, et autres choses encore. Il n’y avait guère qu’à partir du languide "Asagaeri" que l’ennui pointait son vilain nez. Sur le reste de sa longueur, Hell me Why était l’un de ces albums rares et précieux où un artiste particulièrement insolite parvenait à devenir plus abordable, sans renier quoi que ce soit de sa singularité, sans encore vendre son âme.

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