Black Bastards a été l'album maudit de l'histoire du rap. Prévu pour 1994, trois ans après Mr. Hood, le premier opus de KMD, la major Elektra avait finalement décidé de ne pas le sortir. Le prétexte invoqué était la pochette, qui représentait un Noir au bout d'une corde, le nom exact de l'album ("Bl_ck B_st_rds") supposant un morbide jeu du pendu. Pour compléter le tableau, Subroc était mort dans un accident de voiture en 1993, juste après l'enregistrement de l'album.

KMD - Black Bastards

Sub Verse :: 1994 / 2001 :: acheter ce disque

Il fallut donc quelques années de galères, le retour de son frère, Zev Luv X, sous le nom de MF Doom et le succès underground d'Operation Doomsday pour qu'une première édition officielle survienne en 2000 sur Ready Rock Records, suivie d'une seconde sur Sub Verse, le label de Bigg Jus, rappeur de Company Flow.

Désigné comme le "meilleur album hip-hop jamais sorti" par l'excellent Ego Trip’s Book of Rap Lists, Black Bastards montrait combien KMD savait marier humour et rhétorique pro-black. Musicalement, il reposait sans surprise sur un substrat principalement jazz, et devait une bonne part de ses samples à The Blue Guerilla, l’album solo de Gylan Kain des Last Poets. Il privilégiait aussi des titres courts, qu'il enchainait sans pause, sur un rythme entraînant. Et le rap brut, direct et soutenu des MCs épousait à merveille ces beats enjoués et énergiques.

Côté paroles, KMD persévérait dans son afro-centrisme teinté d’ironie, notamment sur ce "What a Nigga Know?" où les rappeurs répondaient à la question "ça sait quoi un nègre ?" par le stéréotype du "sambo", par tous les clichés de circonstance, les ridiculisant par la même occasion, soulignant ainsi leur absurdité. Zev Luv X et Subroc, toutefois, ne se cantonnaient pas à ce rôle : ils traitaient aussi de thèmes nettement plus légers. Outre quelques allusions à la fumette ("Suspended Animation") qui ont dû participer au trouble d’Elektra, KMD se fendait d’une ode à la boisson sur "Sweet Premium Wine" et au sexe sur "Plumskinzz", sans doute le meilleur titre de l’album, présent d’ailleurs en deux versions.

Sorti à temps, Black Bastards aurait eu sa place parmi les grands classiques hip-hop de la très faste année 1994. Quelque part en tête de liste. Mais ce n'est qu'a posteriori, de manière posthume, que l'album a donné raison aux paroles prophétiques lancées par le regretté Subroc sur "It Sounded Like a Roc" : "le jour où je serai un fantôme, attendez-vous à ce que je vienne vous hanter"…