Octavius, c'est le coeur d'Octavius & 4AM, duo/groupe auteur en 2000 d'un album de hip hop industriel et étouffant passé malheureusement inaperçu, Electric Third Rail. A quelques mois d'un nouvel album, le rappeur/producteur nous en dit un peu plus sur son passé, ses goûts, ses projets, la conception du premier album, celle du prochain.

Apparemment, tes racines sont profondément hip hop. Tu peux nous parler de ces scènes que tu as partagées avec les Lost Boys et Foxy Brown et qui sont mentionnées dans ta bio ?

J’ai vécu longtemps à Atlanta. Mon père gérait un de ces hôtels à bas prix qui ont toujours été un havre pour les prostituées et les dealers. C’est là que j’ai commencé à vouloir développer mes talents d’écriture et de emceeing. J’ai pris l’habitude de contacter les radios locales et de leur demander d’y rapper en direct. Une longue histoire. J’ai fait des drops pour un DJ appelé Cliff Mack (pour ceux qui l’ignorent, un "drop" est l’intro d’une session de DJ où tu dis combien le DJ et la radio sont bons). Nous sommes devenus amis et il m’a permis de faire les premières parties de n’importe quel artiste qui venait à se produire en ville. Le fait que cela ait été Foxxy Brown et The Lost Boys n’a pas la moindre importance. Je voulais juste un public. A cette époque, il n’y avait pas vraiment de scène underground à Atlanta, je devais donc chercher les foules là où elles étaient. Je faisais des trucs de battle plus directs à l’époque, dans le style de RZA, Ras Kas, Nas ou Ghostface.

Tu as fait un séjour en Allemagne autour de 1995. Cela a-t-il changé ta façon d’appréhender la musique ?

Complètement. J’ai réalisé combien le hip hop et la culture black en général s'étaient refermés sur eux-mêmes. Dans les autres pays, si tu es un Noir Américain, tu es perçu comme une porte d’entrée vers toute cette culture. Je me suis aussi aperçu que les gens là-bas ne catégorisaient pas le hip hop en "mainstream," en "underground," ou en "east/west coast". J’ai réalisé que ce qui importait chez eux était davantage la qualité musicale que les implications sociales - ce qui était un truc fantastique. J’ai fait mes premières sorties en club là-bas, car l’âge d’admission y était souvent de 16 ans. J’ai découvert la drum’n bass, des remixes malsains de Björk et de la techno très dure à Berlin. Vivre en Allemagne m’a permis de combler le fossé entre hip hop et musique électronique. Je dois pour toujours une dette aux années 1994/95.

En d’autres mots, quelle transition rattache la musique proposée sur Electric 3rd Rail au hip hop traditionnel.

Je ne suis pas certain de savoir ce qu’est le "hiphop traditionnel". Je pense que chaque artiste a sa propre voix, mais que les labels ont regroupé des artistes et canonisé leur son pour vendre davantage de disques. Si Pete Rock décide de se baser sur des breaks jazz pour faire un album, ce sera de l’art. Si Dr. Dre choisis des samples de funk et se concentre sur les basses, c’est de l’art. Si RZA choisit des beats off-time et mets du piano par-dessus (etc. etc.). Electric 3rd Rail c’est notre voie. Je pense que le véritable esprit du hip hop est de créer de la matière nouvelle. Octavius sont beaucoup plus hip hop dans l’esprit que les Dilated Peoples ou qui que ce soit à cause de ça. Nous essayons d’assembler une musique qui soit autre chose que l’écho de l’idée d’un autre. Je pense que le Dummy de Portishead est un grand album hip hop. Je pense que beaucoup des travaux de Trent Reznor sont le résultat du hip hop. Il l’a lui-même dit dans des interviews.

Electric 3rd Rail a été crédité à Octavius et à 4AM, et il y a d’autres artistes sur l’album. Alors que le maxi Modern Chairs qui est extrait de l’album ne mentionne qu’Octavius. Alors, qui est Octavius ? Toi (William Marshall) ou le groupe ?

Les deux. Electric 3rd Rail est crédité à Octavius et à 4AM parce que ce dernier a jugé qu’on ne lui accordait pas assez d’attention. Toutes les sorties prochaines seront créditées à Octavius (le groupe).

Tu peux nous parler de ce concept de "son de la ville" qui anime Electric 3rd Rail et qui est détaillé sur le CD ?

J’ai vécu quelques temps à Hawaii après la séparation d’Octavius version 2 (nous en sommes à la version 5). Quand je suis revenu à Oakland, je devais prendre le train pour San Francisco pour me rendre à mon boulot. Le train devait aller sous la baie (environ 5 km) pour arriver à destination. Ce voyage sous la mer m’inspirait tout un tas d’idées, comme d’autres modes de transport public. La ville me paraissait aussi plus lourde et plus bruyante que ce dont je me souvenais. C’était juste avant l’explosion de la bulle spéculative sur Internet, et la ville était retentissante d’activité. Les clubs étaient remplis tous les soirs de la semaine parce qu’il y avait tout un tas de jeunes gens avec des tonnes de revenu. De plus, 4AM avait quelques beats qui me paraissaient épouser le concept de ville bruyante, nerveuse et palpitante. Nous sommes partis de là en quelque sorte. Je prenais le train pour aller chez lui (il habitait à environ trois heures) pour échanger des idées et des disques. Nous faisons tout sur sa MPC, sa Roland 880, son Shure SM-57, et un horrible Gemini mixer...oh and a sock for a wind screen.

Il y a eu des tas de comparaisons quand Electric 3rd Rail est sorti. Lesquelles tu considères pertinentes entre Merzbow, Massive Attack, Tricky, Joy Division, Nine Inch Nails, My Bloody Valentine...

Il semble qu’on nous ait comparé à des musiciens qu’on admire. Tricky, Joy Division et Nine Inch Nails sont définitivement des artistes que j’ai écouté davantage qu’une fois ou deux. Les comparaisons ne me gênent pas du tout. J’espère qu’un jour des groupes plus jeunes seront comparés à moi.

Comment vous êtes-vous liés à John Wilson de Meat Beat Manifesto ? Tu as d’autres connexions du même type ?

John est un ami de 4AM, il devrait être capable d’expliquer ceci (et si ça t’intéresse, nous avons d’autres amis célèbres ou semi-célèbres).

Tu peux nous en dire plus sur ton premier et court album, Descent and Dissension ? Ca se trouve où ? C’est toujours disponible ?

Descent and Dissension n’était qu’une démo. C’était un premier groupe de chansons enregistrées en vue d’un album. Un type du nom de James Kirkman en avait fait tous les beats. C’est lui qui m’a intéressé à Ministry, à Depeche Mode et aux Smiths entre autres choses. Nous avons vécu ensemble dans un petit studio à Fresno, en Californie. Il m’a donné toute la confiance qui me permet d’essayer de rester très original. Il y a une chanson sur ce disque qui s’appelle THE LOCUST FROM THE BOTTOMLESS PIT et qui m’a introduit auprès de l’underground hip hop. Beaucoup considèrent cette chanson comme la meilleure d’Octavius. Descent a été le modèle de beaucoup des chansons que je fais. Une partie de ma musique est très dure et agressive, d’autres morceaux sont délicats et réservés. J’ai vraiment exploré toutes les facettes de ma personnalité sur ces 6 ou 7 titres. C’était une sorte de cours accéléré qui m’a appris à écrire, enregistrer et sortir de la musique indépendamment.

Il y a eu des tas de changements dans le hip hop depuis l’explosion des labels indépendants qui s’est produite vers 96/97. Te rapproches-tu de tout cela ? Selon toi, y a-t-il des gens dans ces galaxies de labels et d’artistes qui partagent vraiment ton approche du hip hop ?

J’aurais tendance à me rapprocher des choses du type Def Jux/Anticon. Il y a des gens dans les deux camps qui sont de bons amis à moi. J’espère qu’ils calmeront les petits différends qui durent encore.

Octavius et 4AM était-il le duo d’un jour ou avez-vous l’intention de bosser encore ensemble ?

4AM et moi avons apprécié de bosser ensemble. Nous avons des approches de la musique très différentes mais nous nous complétons bien. C’est un membre à part entière du groupe. Ceci dit, il prépare un album solo qui sortira l’an prochain sur Just One Entertainment.

Tu peux nous parler du nouvel album que tu prépares ?

Le nom de cet album est Audio Noir. J’avais cet album en tête depuis 4 ans. Si Electric 3rd Rail était très dur et cathartique, le prochain sera beaucoup plus à l’aise avec lui-même. Ce sera un plus grande célébratino de nos influences que Third Rail pouvait l’être. Il sera fait pour être apprécié à plusieurs niveaux. Je voulais faire un album dans lequel tu pouvais vraiment te plonger mais qui pouvait aussi s’écouter en faisant son appartement ou quoi que ce soit d’autre. Ce sera davantage des CHANSONS. L’autre était plutôt une œuvre à écouter intégralement d’un bout à l’autre. Noir gardera certaines de ces qualités, mais tu pourras en découvrir la première moitié dès maintenant et réserver la seconde pour six mois plus tard si ça te chante. Et le son d’ensemble sera plus chaleureux. Je n’ai pas honte de dire que ce sera un disque plus accessible. Chaque chanson aura son propre thème - c’est important car je suis un grand fan des artistes qui sont capables de peindre un image très détaillée en 3 ou 4 minutes. Sur 12 morceaux, 10 auront des paroles, et chacun auront une approche vocale distincte. Noir est notre tentative pour écrire 12 chansons solides qui devrait avoir une relative longévité. Je ne vais pas tenter de les décrire en citant d’autres musiques, parce que je risque de donner de fausses impressions. Je pense que le titre suffit à le décrire.

Finissons avec nos questions standard. Ta playlist actuelle.

Dans le désordre :

Pink Floyd - Animals (* l’un des disques les plus effrayants jamais enregistré, j’ai le vieux numéro de Rolling Stone qui le détruit)

  • Interpol - Turn on the Bright Lights (un nouveau groupe solide, il n’y en a pas tant que ça)
  • Hovercraft - Vagus Nerve/De-Orbit Burn remix par Scanner (des beats et des guitares programmés—quelque chose de très beau)
  • Miles Davis: Get Up With IT (70s Miles = that raw shit)
  • Les morceaux de Liam sur le nouvel Oasis: (aucun John Lennon posthume n’a sonné aussi bien)
  • Ghostface Killah - Iron Man (je découvre de nouvelles paroles chaque fois que j’écoute ce bon sang de truc)
  • The Verve - Urban Hymns (THE DRUGS DON'T WORK. Tant de personnalité dans la voix - tes petits-enfants écouteront encore ce disque)
  • Squarepusher - Do You Know Squarepusher? (Joy Division...)
  • Playgroup - DJ-Kicks (de l’electro new-yorkaise sale)
  • Buddy Guy - Sweet Tea (son meilleur disque)

La plupart des français ne comprennent pas les paroles en anglais. Tu leurs recommandes d’arrêter d’écouter du rap en anglais ?

Surtout pas ! La musique a l’art de transcender les langues. Beaucoup passe à travers la tonalité du chanteur. Il y a des MCs underground comme Busdriver, Dose One, Mikah 9 et Omega Cix qui rappent en anglais et pourtant, je n’ai pas la moindre idée de ce qu’ils disent dans 70% des cas.

Un concert d’Octavius est envisageable en France dans un court ou moyen terme ?

J’espère. Les Français savent reconnaître les bonnes choses quand ils les écoutent.

Un message particulier pour finir cette interview ?

http://www.sputnik7.com est le meilleur endroit pour découvrir de bonne vidéos innovantes. Sinon, je crois que nous avons fait le tour. Merci.