Jamais, depuis le début du trio à la fin des 80's, les conditions n'avaient été aussi favorables à De La Soul. Forts du respect unanime de la nouvelle génération hip hop (qui s'est accordée à juste titre un droit d'inventaire sur les oeuvres diverses et variées de ses prédécesseurs), et bénéficiaires d'une campagne marketing menée de main de maître (premier single ravageur, gestion maline de l'attente, collaborations nombreuses et prestigieuses, concept intrigant), ils ont finalement sorti, en cette fin d'été 2000, le premier volume de leur tryptique Art Official Intelligence. Une oeuvre ambitieuse au titre ronflant commencée comme un gag : les trois compères souhaitaient par un triple album se montrer plus ambitieux que Jay-Z et le Wu-Tang, auteurs chacun d'un double.

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En fils prodigue sur le retour, Mosaic Thump vient donc récolter les fruits semés autrefois par De La Soul et leurs collègues des Native Tongues, à nouveau abondants dans le hip hop d'aujourd'hui. Notamment cette révérence pour les musiques noires qui, de leur élève Mos Def à Common en passant par Slum Village, caractérise toute la scène conscious rap. Celle-ci est patente dès "U Can Do" (premier et brillant morceau aux accroches très nettement r'n'b), et présente bien que discrète à de nombreux autres endroits ("With Me" utilise notamment un sample de Marvin Gaye, et "Foolin" un autre de Quincy Jones).

Pas de rhétorique afro-américaine outrancière et casse-bonbon pour autant chez De La Soul. Ceux-ci restent avant tout les adeptes d'une créativité et d'une diversité encore peu égalés dans le rap. Malgré le départ deux albums plus tôt de Prince Paul, leur producteur expert ès-fantaisie, Posdnuos, Dave et Maseo regorgent d'idées. Comme le piano et le rythme singuliers de "View", la guitare acoustique et la voix bégayante de "Set the Mood", ou encore l'exotique "Copa (Cabanga)", son funk doux et ses voix susurrées, "The Art of Getting Jumped" et un "IC Yall" quasiment electro, où la voix de Busta Rhymes sert une fois de plus d'attraction générale.

Pour résultat, De La Soul renoue avec une extrême accessibilité. Nombreux sont les titres qui peuvent prétendre au statut de tubes, sans jamais se ressembler : le sautillant Oooh en compagnie de Redman, tout d'abord ; l'irrésisitible "Thru ya City" (bâti sur le sample d'un tube de Loving Spoonful), juste après ; "My Writes", ses charmantes petites touches d'orgue et le flow des invités, plus tôt ; et "All Good", indiscutable réussite en compagnie de Chaka Khan, admirablement servie par une guitare acoustique et par le chant à la fois nerveux et suave de l'idole. Les amateurs de titres plus posés seront servis quant à eux par un "Foolin" en contrepoint, ancienne face B du single Oooh et l'un des sommets de l'album.

Jamais un seul disque de De La Soul n'a atteint le génie de Three Feet High and Rising, leur premier opus, et Mosaic Thump ne fait évidemment pas exception. Les titres qui le composent n'atteignent que rarement ce niveau, et il est certains moments plutôt faibles, comme "Declaration" et "U Don't Wanna", les exercices old school comme "Squat" (en compagnie d'autres vétérans, les Beastie Boys, ici auto-parodiques) et "Words from the Chief" étant tout juste entrainants. Mais De La Soul, dans l'ensemble, vieillit mieux que beaucoup d'autres. Il ne reste qu'à attendre, pour le confirmer, que la recommandation de la fin de l'album, "Please insert disk 2", puisse se réaliser.