Après des années 90 passées à imprimer leur marque sur le rap du Sud, les deux de UGK ont semblé bien partis pour s'imposer à un plus grand nombre à partir de "Big Pimpin'", leur collaboration historique avec Jay-Z. Et ils finiront par y parvenir avec Undergound Kingz, l'album de la consécration. Mais entretemps, le chemin a été long. La faute à Dirty Money, un opus en retrait. La faute surtout à l'incarcération de Pimp C, qui a obligé Bun B à renforcer seul leur légende.

BUN B - Trill

Pendant plusieurs années, celui-ci anime la campagne "Free Pimp C". Il collabore avec tous (vraiment tous) les rappeurs qui comptent. Et puis, ayant rejoint Rap-A-Lot, le label emblématique du Texas, celui qui convient à une légende locale de son calibre, il sort son premier solo au bon moment : en cette année 2005 qui est celle du rap de Houston, celle-là même où triomphent à l'échelle nationale ses collègues et voisins Paul Wall, Chamillionaire, Slim Thug et Mike Jones.

Trill, qui est avant tout un long égo-trip, participe à cette autocélébration. Il le fait dès ce titre qui combine les termes "true" et "real", un mot d'argot local popularisé à Houston par UGK eux-mêmes. J. Prince annonce dans son introduction pompière que Bun B est "le nouveau président du Sud", et le rappeur de Port Arthur entend bien le prouver.

Notre homme, aussi, en rajoute dans l'exaltation de Houston et de son imagerie. Sur "Draped Up", il célèbre sa Cadillac rose et le syrup, et il récupère un sample de Lil' Keke par DJ Screw. Il consolide le mythe UGK, prétendant représenter encore l'underground (""What I Represent"), et retraçant dans les détails la longue carrière du duo ("The Story").

Bun B maximise ses chances. Après avoir été invité à peu près partout, son tour est venu de convier tout un tas de gens de premier plan : ceux de Port Arthur et de Houston (Pimp C, Scarface, Z-Ro, et sur le même titre les Paul Wall, Chamillionaire, Slim Thug et Mike Jones susmentionnés, plus Lil' Flip et Lil'Keke), ceux d'ailleurs dans le Sud (Young Jeezy, Mannie Fresh, Ludacris, Birdman, T.I., Ying Yang Twins, Juvenile, Lil Jon) et aux Etats-Unis (Jay-Z, Too $hort), sans oublier le chanteur R&B (Trey Songz) et le rockeur (Travis Barker de Blink-182) de circonstance. Ils sont tous là. Toute la classe hip-hop 2005, et davantage encore.

En conséquence, il faut pousser les meubles, il faut faire de la place sur ce disque, qui en est bien trop long. Bun B brasse trop de styles, celui de Houston mais aussi celui de Louisiane ("I'm Fresh", avec Mannie Fresh), la musique club d'Atlanta ("Trill Recognize Trill" avec Lil Jon, "Git It" avec les Ying Tang Twins), le hip-hop salace de la Baie à l'époque de Too $hort (avec l'intéressé sur "Who Need A B"), des intimidations de gangster gorgées de synthé ("I'm A G"), du rap gorgé de vieille soul ("The Story", "Pushin'" avec son sample des Impressions) ou de chants R&B (ceux de Jazze Pha sur "I’m Ballin’" et de Trey Songz sur "Hold U Down").

Trill souffre d'être un blockbuster. Il en a les principaux défauts : l'hétérogénéité, la pluralité insensée des producteurs, la longueur excessive, la volonté de manger à tous les râteliers et de plaire à tout le monde, avec des morceaux grossiers censés en mettre plein la vue ("Bun") et d'autres dont la guestlist est à peu près le seul faire-valoir ("Get Throwed").

Mais Trill a aussi les qualités de ses ambitions, avec des titres en phase avec le zeitgeist, comme les susmentionnés "Draped Up" (tellement bon qu'il est présent en deux versions) et ""What I Represent". Et puis la voix grave et pleine d'autorité qui caractérise Bun B apporte une trame à ce patchwork qu'est Trill, tant bien que mal. Il n'y aura désormais plus qu'une libération de Pimp C pour qu'enfin, les rois du Sud élargissent une fois pour toute leur audience. Très loin, bien au-delà, de l'underground dont ils se revendiquent.

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