C'est un curieux concept qu'ont décliné Thomas Guillaumet et Thibaut Lamadelaine, renforcés cette fois par Samuel Bartholin. Peu de temps après avoir publié une Brève histoire du rap, ils ont récidivé avec une Face B. La particularité de cette suite est qu'elle suit le même dessein, relater la grande épopée de ce genre musical à travers une sélection de 250 œuvres, mais une nuance près : le texte est totalement différent, et aucun des albums listés n'est le même qu'avant.

THOMAS GUILLAUMET, THIBAUT LAMADELAINE & SAMUEL BARTHOLIN - Une brève histoire du rap – Face B

C'est exactement le même livre, avec la même somme de travail, la même densité, le même travail de documentation (j'ai appris des choses, notamment sur des rappeurs qui ne m'ont jamais passionné), la même volonté de tout renseigner, quitte à parler d'œuvres moins marquantes que d'autres. Et c'est sans doute aussi, la même passion sincère.

Ce sont les mêmes traits, notamment un filtre très "backpacker de l'an 2000", des a priori esthétiques franchouillards et datés, avec une prédilection pour la production underground fidèle au boom bap et au rap "lyrical", un petit côté père-la-morale de la musique, une hostilité fréquente envers ce qui est perçu comme (pour reprendre une formule elle-même horriblement stéréotypée) les "clichés du gangsta rap", une certaine circonspection envers les albums sudistes et les œuvres les plus récentes, dont les auteurs se sentent obligés de parler, sans manifester un grand d'enthousiasme.

On retrouve aussi quelques légèretés, des à-peu-près et des raccourcis dans ces double-pages qui nous racontent chaque décennie de rap (et décèlent quelques preuves qu'ils ont lu les livres de votre serviteur, tous cités dans la bibliographie).

On en découvre aussi dans les présentations d'albums. L'article sur Army Of The Pharaohs laisse entendre à tort qu'Apathy, qui a certes collaboré de près avec eux, a fait partie de Styles Of Beyond. Celui sur Kid Cudi qu'il s'inscrit dans la lignée du 808 & Heartbreak de Kanye, sans rappeler qu'il y a activement participé. Celui sur Playboi Carti parle de Tyler, The Creator comme d'un nouveau chouchou de la critique, alors qu'en 2020, ça faisait déjà dix ans qu'il l'était.

Pour pinailler, il est regrettable de voir Tragédie d'une trajectoire commenté sans qu'on parle du morceau "Chez moi", le Modal Soul de Nujabes traité sans mentionner la participation de Terry Callier et, dans l'article sur Apollo Brown, Boldy James présenté comme un rappeur méconnu, alors que Guilty Simpson est rangé parmi les artistes prestigieux. Vraiment ? Et si l'on veut être mesquin, signalons que le Idlewild d'Outkast est sorti en 2006, pas en 2007, et que Ségo l'ancienne ambassadrice des Pôles s'appelle "Royal", sans "e".

Rien n'est faux, les auteurs ont pris leur travail à cœur, ils sont sérieux. Mais souvent, les écrits sont typiques de notre ère, celle d'Internet, celle où il est devenu aisé de consommer de la culture, mais où il est toujours aussi long de la digérer.

Ce nouveau livre, pourtant, est un poil plus solide que le précédent. Les auteurs ont rajouté quelques manques, notamment la bibliographie. Ils y sont moins pris à défaut, l'écriture est plus maîtrisée. Les albums qu'on s'étonnait de ne pas voir dans la précédente version figurent dans celle-ci.

Et puis il y la démarche, qu'il faut continuer à louer.

Ecrire deux fois le même livre de façons totalement différentes rappelle, qu'en vérité, il n'y a pas qu'une histoire du rap, mais plusieurs, alternatives. Qu'il n'y a pas de discothèque idéale, mais une multitude, avec des combinaisons infinies. Qu'on ne finira jamais de raconter la folle aventure du rap. Et qu'on ne sera jamais trop nombreux à le faire.

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