La grande singularité de la scène de Dunedin, c’est sa normalité. Prenons The Bats, l’un des groupes (bien qu’issu lui-même d’une autre ville, Christchurch) les plus célébrés de cette assemblée. Rien ne les distingue du commun. Ni leur aspect, ni leurs ambitions. Car à l’époque de leurs débuts, la Nouvelle-Zélande, c’est loin de tout. Aucun espoir de devenir rock star, quand on est né là-bas. Aucune aspiration à la gloire, aucun rêve de richesse. Tout juste les avantages d’un système de chômage qui vous apporte alors le minimum vital pour s’adonner pleinement à sa passion, la musique.
En conséquence, Paul Kean, Malcolm Grant, Robert Scott et Kaye Woodward ont ressemblé aux rockeurs d’à-côté, à ces messieurs (ou à ces dames) tout-le-monde, dont le seul fait d’arme est de devenir le groupe du rock du village. Aucune frasque, aucun drame n’est connu chez ces gens qui, aux dernières nouvelles, quarante ans après leurs débuts, ne se sont jamais séparés. En amateurs ou presque, ils ont simplement délivré une musique en phase avec cette époque, les années 80, où la génération issue du punk ne rêvait plus de table rase, mais de réinvestir plutôt les mélodies des Byrds.
Bien qu’enregistrée en grande partie en dehors de leur pays, en Ecosse plus précisément, la musique de cet immense classique du rock néo-zélandais qu’est leur premier album, Daddy’s Highway, a cet aspect familial et insulaire. C’est une suite de morceaux sans prétention, et qui donnent l’impression d’avoir été enregistrés artisanalement, avec la même poignée d’ingrédients, avec la même économie d’instruments. Les habituels basse, guitare et batterie sont agrémentées à peine, par exemple, d’un violon sur "Treason" ou d'un orgue sur "Candidate", l'un des morceaux du EP ajouté à la version CD, Made Up In Blue. Ce sont des chansons qui parlent de sentiments et d'amours aussi compliqués que triviaux ; de tragédies qui débutent à la maison, pour les paraphraser.
Mais quelles chansons ! The Bats font preuve d'un incomparable sens mélodique, par exemple quand le chanteur (Robert Scott) et la chanteuse (Kaye Woodward) se lancent dans de belles et discrètes harmonies vocales. La guitare mène la danse, avec quelques solos enjoués, voire épiques sur le splendide "North By North", avec de beaux dialogues entre la lead et la rythmique comme sur "Daddy's Highway". Mais la basse n'est pas en reste. Jouée par Paul Kean (qui a participé avant The Bats à deux groupes fondateurs du rock néo-zélandais, Toy Love et The Clean), elle s'aventure au premier plan, fidèle à l'école punk et post-punk.
Le rock a souvent su apporter une résonnance aux sentiments contradictoires de l’adolescence et des premières années de l'âge adulte. Et c'est exactement ce à quoi cet album parvient, lorsqu'à un beau morceau contemplatif tel que "Some Peace Tonight" succède un autre, "Had To Be You", au rythme plus frénétique. C'est ce qu'il réussit avec ses invitations à bondir entrecoupées d'obscures confessions intimes, avec son humeur allègre extatique, imprégnée néanmoins d'une certaine tristesse. En écoutant cet album venu des antipodes, on a une drôle d'impression : celle d’être allé par politesse à un concert joué par ses voisins, et d'avoir découvert à l’occasion qu’ils étaient absolument magnifiques.