Ne jamais oublier que, dès ses débuts, le hip-hop a été aussi un art latino. Les ghettos new-yorkais où il est apparu ne comptaient pas que des Afro-Américains, ils étaient aussi remplis d'hispanophones. Et de nombreux rappeurs de cette origine ont apporté quelques grosses pierres à l'édifice. Le rap aurait-il vraiment été le même sans Cypress Hill, Big Pun et les autres ? Ecrire un livre à leur sujet, rendre compte de leur impact, nous a même titillés un moment. Cependant, certains des principaux intéressés se chargeront toujours, à notre place, de rappeler allègrement leur culture et leurs racines, comme tout récemment That Mexican OT.
Virgil René Gazca charge son album, Lonestar Luchador, de sonorités mexicaines, cris de mariachis en tête. A l’opposé des ternes protestants du nord, il aime la couleur et les débordements, sa musique est pleine d'entrain et d'humour, et son album est placé sous le signe de catcheurs bariolés. A travers plusieurs interludes, on parle de gens appelés El Puerko Azul ou The Invisible Masturbator, dont le sport est comparable aux MC battles, ces joutes verbales via lesquelles, cela s’entend, That Mexican OT s'est formé au rap.
Les rappeurs latinos ont apporté au hip-hop ces influences qui échappent à la tradition de la Great Black Music, celles du rock et du folk, par exemple, entendues chez Cypress Hill, les Mexakinz ou quelques Latinos underground autrefois chéris ici, tels que 2Mex, Xololanxinxo et Ceschi. Et That Mexican OT ne fait pas exception avec le guitar rap de la complainte amoureuse "Breannan", celui de ce "15 Missed Calls" tout à la fois bluesy et pornographique, et celui de "Be Careful Texas", où That Mexican OT se confie sur ses traumatismes, comme la mort de sa mère alors qu'il n'avait que huit ans. Et c’est le même instrument qui habille l’autre single de l’album, son titre le plus hispanique, un "Barrio" bilingue, interprété avec le rappeur mexicain Lefty Sm.
Lonestar Luchador célèbre l’identité latine du rappeur, mais il déclare aussi son allégeance au hip-hop local. Le "OT" de That Mexican OT signifie "outta Texas", et le "Lonestar" du titre se réfère bien entendu à un certain drapeau. Aucun Etat américain, il est vrai, n'est si imbibé de culture mexicaine que le Texas. Et la nature particulière de son hip-hop, par exemple son attachement viscéral aux virées en voiture, doit semble-t-il beaucoup aux immigrés du pays voisin.
Sur le très bon "Matagorda" final, That Mexican OT nous dit que l'on sait, rien qu'à l'entendre, qu'il est un pur Texan. Dès le très bon premier vrai titre, "Skelz", une démonstration de rap en deux mouvements, défile toute l’imagerie de circonstance dans la bonne ville de Houston : strip clubs, belle bagnoles et codéine. Et ailleurs, les quartiers où il nous emmène ont de sérieux airs de western ("Cowboy Killer").
Naturellement, l'album compte un morceau plus ou moins screwed and chopped, "OMG". Quelques grands rappeurs de la ville sont de la partie, comme Paul Wall et Maxo Kream, ou encore le "voisin" de Dallas BigXthaPlug. Le tube “Johnny Dang” est un hommage à un bijoutier emblématique de la ville, célèbre pour ses grills. Et même quand le rappeur s'essaye au style froid de la Côte Est (avec réussite), il n'en reste pas moins un cowboy, le flingue au poing, prêt à pendre ses rivaux haut et court ("Cowboy In New York").
Avec ce réjouissant Lonestar Luchador, That Mexican OT nous propose tout à la fois une manifestation remarquable de la scène rap de Houston, toujours vivace, et une nouvelle pièce de choix dans la très riche histoire du hip-hop latino.