Le succès, dans le rap américain, repose sur une mécanique bien huilée. D'abord, il faut s'imposer auprès des siens, devenir incontournable sur sa scène locale, exceller dans son style régional. Ensuite, il faut profiter du jour où les projecteurs se tournent vers sa ville ou son Etat, pour rejoindre une major, diversifier son style et délivrer une musique plus consensuelle, où l'attachement géographique demeure, mais où il s'efface au contact d'autres formules et d'autres rappeurs. C'est alors, pour certains, l'occasion de devenir pour de bon un géant, de dévoiler toute l'étendue de ses talents.

SLIM THUG - Boss of all Bosses

Ce parcours a été, en partie, celui de Slim Thug. Après le succès du single "Still Tippin" avec Mike Jones et Paul Wall, celui qui était déjà une pointure dans la ville texane a rejoint la major Interscope, et Pharrell Williams l'a pris sous son aile, produisant son premier album officiel. Toutefois, ce disque nommé gaillardement Already Platinum ne l'a pas été tout de suite, de platine. Et certains ont semble-t-il reproché à Slim Thug ses infidélités au son de ses origines.

Le Texan lui-même l'admet. Il ne dit pas autre chose sur "I'm Back", l'un des moments forts de son second album :

I dropped Already Platinum, but it only sold gold
And niggas looking at me like I sold my soul
Cuz I'm rapping with P and not Mr. Lee

J'ai sorti Already Platinum, qui n'a été que disque d'or
Les "négros" m'ont regardé comme si j'avais vendu mon âme
Parce que je rappais avec P au lieu de Mr. Lee

Sur Boss Of All Bosses, donc, Slim Thug fait marche arrière. Cette fois, P (alias Pharrell) n'est plus là. C'est bel et bien son producteur historique Mr. Lee qui est aux commandes. Plus de major non plus, l'album étant sur la propre structure du rappeur, consacrant un retour à l'indépendance déjà amorcé avec les sorties de son collectif Boss Hogg Outlawz.

Il n'invite presque plus que des Texans, et pas les moindres. Scarface est là, sur "Hard", pour parler des bas-fonds de la ville. UGK aussi, pour quelques mots enregistrés avant la mort de Pimp C. Devin The Dude apparait également, ainsi que Paul Wall et Killa Kyleon. Et pour enfoncer le clou, Slim Thug clôt cette œuvre par un long posse cut intitulé "Welcome To Houston", où ne figurent que des gens de la métropole et des alentours, Chamillionaire, Paul Wall, Mike Jones, Bun B, Pimp C, Lil' Keke, Trae et Z-Ro entre autres.

Sur Boss Of All Bosses, on entend la musique poisseuse parsemée de passages screwed qui convient à toutes ces histoires de Cadillac ("Top Drop"), de lean ("Leanin"), d'acolytes pas fiables ("Associates") et de style de vie criminel ("Thug"). C'est celle qui sied le mieux à la voix de stentor du rappeur, dont l'assurance et la fermeté ont toujours été des atouts.

Slim Thug revient chez lui, mais il le fait avec classe sur ce "I'm Back" éclatant (même si ce n'est pas là la version originale, produite par Dr. Dre). Il le fait avec le panache d'un artiste consacré. Cet album, en fait, pourrait être celui d'une major avec son titre calibré pour le dancefloor, ce "Show Me Love" (plutôt moyen à vrai dire) produit par Mannie Fresh, avec ces autres pour les filles (les dispensables "My Bitch" et "She Like That"), avec aussi de gros singles paramétrés pour le succès, tel que "I Run", dont le refrain est entonné par un Yelawolf alors méconnu, ou "Smile". Rien n'empêche Slim Thug d'être triomphal, ce dès le fier "Boss Of All Bosses". Car il est bien cela, le chef des chefs, le patron des patrons.

Already Platinum, n'a jamais été un mauvais album, il se pourrait même qu'il ait sa place parmi les classiques du rap. Mais ce successeur est également satisfaisant. Ici Slim Thug, sans renoncer à séduire un public large, semble avoir découvert qu'en vérité, il faut toujours rester soi-même, comme il l'énonce sur "I'm Back" avec on ne peut plus de clarté :

Just stay true my nigga and do you
And fuck what another trying to tell you do"

Reste honnête avec toi mon "négro"
Envoie chier ce que les autres te disent de faire

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