Mach-Hommy n'a pas toujours couru après le succès. A l'instar d'autres héros underground, il a longtemps évité les médias, il ne révèle rien de sa véritable identité et il ne se montre que masqué, le visage dissimulé derrière un bandana aux couleurs d'Haïti. Ses paroles, elles aussi, sont opaques, mêlées qu'elles sont au créole de son pays d'origine, et son auteur refuse de les diffuser par écrit. Nul ne doit s'en faire l'exégète sur le site Genius auquel, avec Your Old Droog, il a demandé de retirer ses textes. C'est à tout un chacun de décrypter ses mots obtus, d'après son propre ressenti, selon sa propre interprétation. Par ailleurs, c'est à des prix exorbitants que Mach-Hommy a parfois diffusé sa musique. Et puis surtout, il a quitté Griselda Records dès après l'album des débuts, le culte H.B.O, en 2016, avant même que le label de Buffalo ne se fasse connaître auprès du plus grand nombre, à travers ses nouveaux contrats de distribution.

MACH-HOMMY - Pray For Haiti

Mais en 2021, la donne a changé. Mach-Hommy est revenu chez Griselda et il s'est réconcilié avec Westside Gunn, lequel l'a secondé sur Pray for Haiti. Il est en effet le producteur exécutif de cet album, et il y intervient à trois reprises, apportant avec son rap criard, ses onomatopées et sa voix de gamin énervé, un complément au style posé du principal protagoniste. Tel est le cas sur le très bon "Folie à Deux", par exemple, en fait une folie à trois, puisqu'aux deux hommes s'adjoint Keisha Plum, pour un moment de spoken word. Si Mach-Hommy se suffit à lui-même, avec sa voix qui serpente sans effort d'une diction basse et grommelée à une autre, plus tonnante, puis à quelques chants ici et là, il bénéficie néanmoins de l'assistance de quelques autres, certains très attendus comme son vieil acolyte du Dump Gawd, Tha God Fahim, et d'autres moins comme la chanteuse (non créditée) Melanie Charles, d'origine haïtienne comme lui. Côté sons, aussi, avec le renfort de Camoflauge Monk et de Conductor Williams, entre autres, Pray for Haiti tire le meilleur profit de la formule Griselda avec son boom bap sans "boom" ni "bap", avec son jazz bancal, sa soul malsaine ou d'habiles jeux de percussions, comme sur cet admirable "Ten Boxes - Sin Eater" final produit par Denny LaFlare.

Fort du retour chez Griselda, cet album est devenu plus visible que les précédents, plus accessible aussi, toutes proportions gardées. Et il est l'un des plus célébrés de l'année 2021, tout comme son récent successeur Balès Cho. Sur le tard, il reçoit l'accueil qui aurait dû être réservé à H.B.O, et il donne raison aux vers suivants, lancés par le rappeur de Newark dès le premier titre, "The 26th Letter" : "Mach-Hommy est une icône, fin de citation, ce sera l'année où j'aurai mon trench-coat en python". Cependant, le rappeur ne pense pas qu'à lui. Au cœur de son propos, figure encore Haïti. Mach-Hommy nous invite à prier pour ce pays éternellement martyr, dont le dernier malheur aura été, avant la parution de l'album, le meurtre de son président. Il a prévu de verser 20% des ventes à un fonds destiné à subventionner des cours d'informatique sur l'île, et l'interlude "Kreyol" exalte la richesse de la langue du même nom.

C'est donc de son milieu, celui des enfants de ce pays, que Mach-Hommy traite sur des titres tels que "The Stellar Ray Theory", quand il joue de métaphores climatiques pour parler de résilience ("la pluie a tombé, nous pas mouillés", y chante-t-il). C'est de son expérience, celle par exemple de la disette évoquée sur "Kriminel". C'est des siens, comme quand, à travers sa mère, il rend un hommage à toutes les femmes noires sur "Marie". Sur cet "Au Revoir", produit par la légende de la mixtape DJ Green Lantern, un autre sommet de l'album, le rappeur déclare vouloir "faire en sorte que tout le monde et leurs mamans entendent parler de Mach-Hommy". Mais à en croire le ton morne avec lequel il dit cela, la soif de succès n'est pas le vrai moteur de cette entreprise. Mach-Hommy a d'autres missions, il a bien d'autres choses à faire entendre.

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