Dans les années 2000, bien avant l'ère des gangsters pleurnichards, à une époque où les rappeurs chantonnant qui ouvrent leur cœur meurtri ne courent pas encore les rues, il y a Z-Ro. Et si celui-ci arpente cette voie, c'est qu'il a de solides raisons d'avoir le blues. Il a traversé ce qu'il faut bien appeler une existence de merde. Enfant, il a été bringuebalé d'un domicile à l'autre, sa mère est morte alors qu'il avait six ans et, après que son père l'a foutu dehors, il a été un jeune des rues dont le seul recours a été, bien entendu, le deal de drogue. Son autre bouée de sauvetage, un peu plus tard, est son entrée dans le rap via le Screwed Up Click, mais il demeure longtemps une référence purement régionale. Et en 2006, quand sort un album qui aurait pu être celui du succès, Z-Ro croupit dans une cellule, incapable de profiter de l'affaire.
Et pourtant, I'm Still Livin' aurait bien mérité d'être l'album du triomphe. Il est digne de sorties telles que The Life of Joseph W. McVey et Let the Truth Be Told, qui ont permis à Z-Ro de voir sa cote monter. Dans sa veine de toujours, la plus pessimiste, le rappeur y brosse un portrait désespéré de son milieu, notamment sur le magnifique titre d'entrée "City Streets", ou sur le conclusif "Battlefield". Il y parle d'un terrain de guerre dont il est impossible de s'échapper et où la mort est inéluctable, mais où, malgré tout, comme l'indique un morceau tel que "Continue 2 Roll", tel que le dit le titre même de l'album, il faut bien continuer à vivre.
Avec P.O.P. et Bun B, sur un "Remember Me" qu'il a pris lui-même le soin de produire, Z-Ro revient avec un esprit revanchard sur ces années d'école où on s'était moqué du gamin pauvre qu'il était. Blessé, acrimonieux, il multiplie les menaces sur "Keep On. Paranoïaque, il se dit en danger sur "Sill Livin'". Il ne croit pas à l'amour, c'est au contraire la haine qui est son carburant, prétend-il sur "Love Ain’t Live" en remerciant ses ennemis. Il est seul contre l'adversité, comme il le signifie sur "One Deep", une ode à la solitude. Son spleen, le rappeur le chante sur "No More Pain", ainsi que sur "Let the Truth Be Told", avec un autre Texan, Lil' Keke. Fidèle comme jamais aux anciennes traditions du Sud, Z-Ro use aussi d'un vieux thème religieux sur "T.H.U.G.", celui du déchirement entre Dieu et le diable. Et c'est un autre modèle local, Scarface, qu'il évoque quand il explore ses désordres internes sur "What’s Going On". Sur l'autobiographique "Man Cry", il se réapproprie même l'un des standards du pionnier du rap de Houston, quand par la musique, le phrasé et le texte, il s'inspire de "I Seen A Man Die".
Produit en majeure partie par un grand artisan du son texan, Mike Dean, l'album n'est pas irréprochable, musicalement parlant, mais il a de beaux morceaux magistraux, comme le "City Streets" déjà cité. Et même s'ils sont franchement abusés, le sample de Spandau Ballet sur "Continue 2 Roll" et le pastiche de la Cinquième de Beethoven sur "What's Goin On" ne jurent qu'à moitié. Sur "Battlefield", le recyclage d'un tube de Pat Benatar fonctionne même redoutablement bien. Tous ont leur place sur cet album au son dense, orchestré et habillé d'instruments chaleureux, de violons synthétiques, d'orgues coulants, de guitares promptes à partir en solo, des chants de Tanya Herron, voire d'harmonies vocales sur "One Deep".
Et puisqu'il est question de belles voix, on ne peut évidemment pas ignorer celle, lourde et grave, de Z-Ro, pas plus que son phrasé malléable. Cette marque de fabrique, cet atout fatal, peut prendre la forme d'un refrain chanté, tout comme celle d'un rap de mitraillette. Et il s'autorise même une incartade ragga / dancehall sur son couplet de "M16", l'hommage aux flingues qu'il partage avec P.O.P. et Trae son complice de toujours. Oui, décidément, Z-Ro a bien nommé cet énième projet. Même enfermé, même dépressif, il est toujours bien vivant.
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