D'un côté, se tient Anthony Brown, alias War Cloud, alias The Holocaust, un affilié du Wu-Tang qui a la particularité d'être issu de Californie plutôt que de New-York, et dont les faits d'armes ont été tout d'abord ses contributions au projet solo de RZA, Bobby Digital (sur un titre qui porte son nom), ainsi qu'au deuxième album de Killarmy, Dirty Weaponry, deux des oeuvres les plus sous-estimées du Clan. De l'autre, il y a Kingston et Yound God, deux producteurs issus du fin fond de la scène hip-hop indé, collaborateurs de figures underground comme Noah23, Ceschi Ramos et Jus Allah, et qui se sont unis en un duo respecté sous le nom de Blue Sky Black Death (ils se sont d'abord appelés Torso), à la suite du double-album A Heap of Broken Images.

BLUE SKY BLACK DEATH  - The Holocaust

Cet album commun des trois hommes, donc, est une rencontre entre deux univers, dans la lignée du projet Wu-Tang Meets the Indie Culture. Cependant, contrairement à ce dernier, il dépasse le stade de l'anecdote. Cette alliance, aussi, est bien plus naturelle qu'il n'y parait. En vérité, la scène underground a toujours dû énormément à RZA et au Wu-Tang, dont elle a souvent révéré les sons bizarres et les ambiances cinématographiques. Ils ont en commun un goût prononcé pour la culture nerd et pour l'ésotérisme. Cette parenté est manifeste chez quelques groupes indé comme les Jedi Mind Tricks qui, tout comme certains membres du Clan, ont eu cause liée à Babygrande, le label où est sorti cet album de The Holocaust. Et c'est sur cette base commune que ce dernier se retrouve en compagnie de Kingston et de Yound God.

The Holocaust, en effet, opte pour des paroles cryptiques émaillées de visions d'apocalypse, de références bibliques (Caïn, Samson) ou littéraires (Edgar Allen Poe), et d'allusions à la pop culture, science-fiction et fantasy en tête. Ici, il paraphrase le groupe heavy metal Judas Priest, là, il cite un épisode de The Twilight Zone. Ailleurs, de sa voix sentencieuse, il nous parle de Bruce Lee et de Chuck Norris, de Green Lantern et de Wonder Woman, du roman I Am Legend ou de la fin de Pradator, du manga Ghost in the Shell, mais aussi de la légende du joueur de flûte d'Hamelin. The Holocaust prend un malin plaisir à étaler sa culture, fut-elle savante, religieuse ou populaire, sur de longues tirades comme l'interminable conclusion de "Crash". Avec lui, sur "God Be With You", un bon vieil égo-trip devient un long jeu de piste parcouru de parallèles obscurs avec la mythologie grecque, Le Seigneur des Anneaux ou Le Magicien d'Oz. Par ailleurs, signe que l'on n'est jamais loin des intellos de l'underground, il déclame tout cela dans un anglais parfait, sans le slang ni le vocabulaire d'initiés qui sont la norme dans le rap. Seules une brutalité larvée, une violence qui couve, rappellent que la rue n'est jamais loin.

De leur côté, les deux de Blue Sky Black Death évoquent RZA. L'influence du maître d'oeuvre du Wu-Tang Clan est patente, quand on entend les voix féminines et les notes bancales du magistral titre d'ouverture, "Plunder", ou plus tard, avec les dissonances du prodigieux "Monarchs". Toutefois, leur musique est plus ample. Elle est plus cinématique et plus cérémonieuse. Elle offre aux trompettes, guitares et autres violons tout un espace pour s'exprimer. Ce sont des instrumentaux orchestrés qui pourraient se passer de raps et se suffire à eux-mêmes, comme Kingston et Yound God l'ont déjà prouvé sur la moitié instrumentale d'A Heap of Broken Images. Cette grandiloquence excessive, c'est souvent la limite de la formule. Cependant, elle est tout à fait en phase avec les tirades ampoulées et alambiquées de The Holocaust. Quels qu'aient été leurs mondes d'origine, ces trois-là étaient voués à se rencontrer.

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