Il l’avait annoncé sur "Broken Bottle", le morceau d'une sortie déjà très remarquée en 2018, Tana Talk 3 : Jeremie Pennick, alias Benny the Butcher, enregistrerait bientôt un album sur "the plugs he met". Ce n’était donc pas qu’un bon mot, ou une parole en l’air. Ce projet vit bel et bien le jour l'année suivante. Malgré ses 24 petites minutes, il parvint même à s’inscrire parmi les plus appréciés de 2019, et à devenir l’un des incontournables de la pléthorique production du label et collectif de ses cousins Conway et Westside Gunn, un Griselda Records basé à Buffalo dans l’état de New-York, et devenu en quelque sorte la relève du rap East Coast.
Les "plugs", dans le jargon des rues, ce sont les partenaires des dealers. Ce sont ces connexions grâce auxquelles ils peuvent s’approvisionner et faire circuler leur marchandise. Logiquement, c’est donc le "plug" ultime que l’on reconnait sur la pochette : Alex Sosa, à ce moment fatidique où, dans Scarface, Tony Montana entame sa fructueuse et funeste collaboration avec lui. Et tout aussi naturellement, The Plugs I Met ne parle que de drogue.
Le cas d’école, c’est "Sunday School", avec Jadakiss et 38 Spesh, une longue dissertation sur le trafic de cocaïne, avec allusion à la violence et comparaisons à Al Capone et John Gotti, icônes absolues du gangstérisme. Et comme de bien entendu, on ne sait parfois plus si Benny et ses invités vantent leurs exploits de dealers, ou plutôt leurs prouesses de rappeurs. Les "plugs" présents ici, d’ailleurs, ce sont avant tout des caciques du rap comme Black Thought, Jadakiss, et surtout le grand parrain de ce cocaine rap auquel s’adonne Benny : Pusha-T en personne.
Cette tradition, cependant, remonte plus loin que Pusha-T. Le rap de mafioso, c’est Raekwon, Biggie, Nas, Jay-Z et quelques autres qui l’ont mis sur la table, et il était à l’origine new-yorkais. Cet album nous le rappelle. Tout d’abord, il traite de son sujet à l’ancienne, avec noirceur, pessimisme et sur un arrière-plan social. Sur le même "Sunday School", il décrit les à-côtés de son trafic : passer le premier anniversaire de sa fille en prison ; ou voir les jeunes Noirs accrocs à la drogue gaspiller toute leur vie pour un plaisir fugace. Bien évidemment, quand on invite Black Thought, c’est pour parler de la pression du ghetto plutôt que du monde étincelant des gangsters. Car si Benny the Butcher est un dealer patenté, c’est par nécessité, plutôt que par choix : blâmes-tu le loup quand il essaie de manger, s’interroge-t-on ainsi, en introduction.
Quand en plus d'une poignée d'autres producteurs, on convoque le beatmaker maison de Griselda, Daringer, ou encore Alchemist, l’incarnation même du classicisme rap, c’est également pour évoquer le son traditionnel de la Grosse Pomme. C’est pour jouer d’un somptueux sample d’Al Green ("Crowns for Kings"). C’est pour user d’une boucle de piano tout aussi minimaliste qu’inconfortable ("Sunday School"). C'est pour installer une ambiance crépusculaire (les grands "Took the Money to the Plug’s House" et "5 to 50"). C’est même pour sortir les scratches ("18 Wheeler). C’est une formule maîtrisée qu’ils déroulent, même si elle a déjà été entendues mille fois. Car Griselda, à dire vrai, c’est un peu la seconde division du rap revivaliste de notre époque, la première étant animée par des gens plus captivants, tels que Roc Marciano et Ka. Mais cette seconde division, en 2019, Benny the Butcher en a pris la tête.
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