Rhymesayers a beau être un label rap progressiste et éclairé, être doté d'un grand sens éthique et abriter des rappeurs qui accordent de l'importance au message, à l'engagement et au sens de leurs paroles, il n'a jamais été spécialement ouvert aux femmes. Pendant longtemps, une rappeuse seulement, Psalm One, a figuré à son catalogue, et leur histoire commune s'est mal terminée. En 2015, après que leurs liens se sont rompus, cette dernière a accusé Rhymesayers de ne pas l'avoir assez appuyée. Mal à l'aise, le propriétaire du label, Siddiq, s'est alors excusé pour son manque d'ouverture aux artistes féminines. Et une année plus tard, comme pour y apporter réparation, il a invité Sa-Roc à venir le rejoindre.

SA-ROC - Nebuchadnezzar

En 2016, celle-ci n'est plus une nouvelle venue. Originaire de Washington, mais établie à Atlanta, elle a sorti près d'une dizaine de projets en indé. Elle a même commencé à percer quand, en 2014, via son producteur Sol Messiah, elle a attiré l'attention de David Banner, et enregistré avec lui le single "The Who". Black Thought de The Roots l'a appuyée, lui aussi. Il l'a l'invitée sur scène avec lui, et il en a dit des louanges en ouverture de la mixtape MetaMorpheus. Par ailleurs, la rappeuse a déjà côtoyé les artistes Rhymesayers.

Sa-Roc, donc, ne s'est pas retrouvée chez eux par hasard. Comme le montre déjà l'album de la révélation en 2014, un très bon Nebuchadnezzar, elle est, comme eux, une héritière du mouvement rap indé qui a sévi à la fin des années 90.

Son mot d'ordre est le même : l'indépendance, le primat de l'art sur l'écume du show-biz, comme le dit le somptueux "Lyrical Manifesto". A la manière d'autres rappeurs Rhymesayers, elle privilégie un rap boom bap d'ascendance new-yorkaise, elle offre un espace à l'engagement politique, comme quand elle laisse David Banner parler de l'assassinat par les Occidentaux de l'indépendantiste congolais Patrice Lumumba, et elle est l'adepte d'un rap lyrical prompt à se lancer dans des égo-trips à la mode battle, comme sur "True Mastery", "Legendary" et le menaçant "Maximum Frequency". Sur ce même titre, Sa-Roc le dit explicitement : elle est une MC puriste. Elle est fidèle à l'héritage du hip-hop.

Preuve de sa révérence pour le passé, le pseudo choisi par Assata Perkins est un hommage à Sha-Rock des Funky 4+1, la première grande rappeuse. Sur "Assasin's Sound", elle s'exprime sur le même sample (un extrait du "Born To Be Blue" de Jack Bruce) que celui, fameux, du "Bucktown" de Smif-N-Wessun. Sa-Roc perpétue aussi les thèmes ésotériques, les références aux civilisations antiques et l'imagerie mystique rencontrés tout autant chez des rappeurs engagés à la X-Clan, que dans la rhétorique five-percenter du Wu-Tang Clan ou encore chez des groupes underground comme Scienz of Life, tous des descendants du fantasque Sun Ra.

Comme le suggèrent son titre et sa pochette, Nebuchadnezzar regorge de telles références. Outre de Nabuchodonosor, il y est question du Code d'Hammourabi, de l'histoire perse, ou des Tables de la Loi bibliques. Tout cela lui sert à illustrer son propos. La pérennité des hiéroglyphes égyptiens gravés dans la pierre lui permettent de parler de postérité artistique sur "Her Legacy", tandis que le titre "Nebuchadnezzar" rétablit un vieux parallèle entre le destin des Afro-américains et la captivité à Babylone. Cette imagerie mystique qui est une longue tradition afro-américaine, c'est le supplément d'âme de Sa-Roc, sa signature, son signe distinctif au sein de ce rap backpacker dont, par ailleurs, elle maîtrise chaque ficelle.

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