Stéphanie Betga n'était pas programmée pour faire du rap. D'origine camerounaise (son pseudonyme lui vient du peuple bamiléké), mais ayant grandi dans une banlieue blanche peu exposée au hip-hop, elle a aimé le jazz, le reggae et le rock, avant de s'y mettre. Elle s'y est plongée, sur le tard, en découvrant les disques d'un proche qui venait de disparaître, et en se passionnant pour le Wu-Tang Clan (plus tard, elle aura la chance de collaborer avec le maître d'œuvre du collectif, RZA). Bams, à vrai dire, n'était même pas destinée à faire de la musique. Pendant un temps, sa grande passion fut le sport. Elle pratiqua le triple-saut à un haut niveau, et elle fut même à deux doigts de participer aux Jeux Olympiques de 1996 à Atlanta.

BAMS - Vivre ou Mourir

Sa manière d'approcher le rap reflète ce parcours. D'une part, sur ses disques, Bams ouvrira bien vite les portes à d'autres styles. Se qualifiant d'afro-punk, elle les parsèmera de slam, de funk, d'afrobeat, et d'autres choses encore. Même sur son premier album, le plus hip-hop de tous, elle n'était pas une rappeuse pure et dure. Conçus avec l'aide de Junkaz Lou, le DJ qui l'accompagnera tout au long de sa carrière, ses sons se rapprochaient des formules new-yorkaises avec leurs scratches, leurs ambiances cinématographiques, leurs citations samplées, leur langueur jazzy et la rigueur boom bap de leurs percussions. Mais la façon dont Bams posait ses mots tenait davantage de la conversation que du travail d'une kickeuse.

Peu d'égo-trip ici. Les exercices ludiques qui sont au fondement même du hip-hop, Bams ne s'y adonnait que par intermittence, quand d'autres rappeurs venaient la seconder, comme par exemple Nysay sur le rythmé "La Nième". En revanche, son album était prodigue en confessions et en réflexions qui touchaient tantôt à l'intime, tantôt à l'engagement politique et social. Pour commencer, Bams parlait de son mal-être sur le dépressif "Vivre ou Mourir". Elle était introspective, quand sur le très bon "Non" elle dressait un portrait revêche d'elle-même, ou quand elle parlait de son apprentissage de la vie sur "Différentes". Et elle passait en revue ses expériences sentimentales sur "Ma Chanson d'Amour", reprenant au passage, sur un mode désenchanté, la mélodie de "C'est L'Amour", le tube loufoque des Belges Léopold Nord et Vous.

Après le titre transitoire qu'était l'étouffant "Bol d'Air", avec le rappeur Sinistre, Bams passait au commentaire social, invitant même toute une armée d'anonymes, sur le titre caché à la fin du disque, à relayer ses prises de position. Son mot d'ordre était féministe sur "Douleur de Femme". Elle défendait une version engagée et morale de sa musique sur "Si Je Rap". Elle militait pour la révolution et elle vilipendait le capitalisme sur "Moi Ma Violence". Et elle décrivait la triste réalité de la vie carcérale sur "Zonzon", Globalement, la rappeuse jetait un regard très noir sur son temps, comme en témoignaient "Étrange Epoque", ou bien "Underground Style". Et sur le pesant "2010", avec le rappeur M10, elle n'était guère plus optimiste concernant le futur, l'imaginant sous l'emprise d'un pouvoir raciste.

Même si cette seconde moitié de Vivre ou Mourir était plus lourde, même si les fulgurances de "Non" et de "Différentes" disparaissaient ensuite, cet album était bien plus qu'un pensum "rap conscient". Divers, équilibré, il ne s'interdisait ni l'humour, quand Bams se lançait dans le storytelling de "Encore une Fois", ni des luttes plus légères, comme celle qu'elle livrait en faveur de la politesse sur "Pas Merci". C'était juste un disque de rap très écrit, fortement ancré dans la tradition de la chanson française, dont il est somme toute logique qu'il ait été récompensé alors au Festival du Printemps de Bourges, dans la catégorie "Révélation Hip-Hop".

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