Au petit royaume du rap respectable, Akua Naru est un fantasme. La rappeuse originaire de New Haven, Latanya Hinton de son vrai nom, coche toutes les cases. Son hip-hop est calme, sensuel et sensé. Il est ancré dans la noble tradition de la musique afro-américaine, celle du jazz, de la soul et du boom bap des années 90. Il est poétique, et verse dans le spoken word. Il côtoie d'autres figures du rap arty et lettré, comme Elzhi, Questlove, Rah Digga et Ursula Rucker.

AKUA NARU - ...The Journey Aflame

Son rap est intellectuel, comme le prouvent les conférences en université auxquelles la rappeuse a été conviée, et la présence sur un de ses albums de la professeure Tricia Rose. Il est ouvert sur le monde, notre Américaine d'origine ghanéenne ayant fréquenté de grands noms de la musique africaine comme Angelique Kidjo et Tony Allen, ainsi que des Européens, tels les Français Wax Taylor et Ben L’Oncle Soul.

Akua Naru, d'ailleurs, vit en Europe. Elle s'est établie à Cologne, et ce sont des gens de cette ville, The Drumkidz, qui ont produit … The Journey Aflame, son premier album.

Celui-ci plante le décor. Ici, la rappeuse s'adonne à quelques exercices de style sur le mode de l'égo-trip, comme "The Ride", ou "The Backflip", un titre où elle claironne "for those of y'all waiting for hip hop, she's here" (à ceux d'entre vous qui attendent le hip-hop, la voici). Elle passe également par la poésie le temps de "Poetry: How Does It Feel", une divagation sur le thème de l'amour. Mais le plus souvent, sa pose se fait sérieuse et réfléchie, comme quand la rappeuse dédie ses vers aux défavorisés de monde sur "Tales of Men", quand elle décrit la violence des quartiers sur "The Block", ou quand sur "Run Away", elle rend hommage à la persévérance de cette femme forte qu'a été sa propre mère.

La femme, Akua Naru la défend aussi à travers "The World Is Listening", un tribut aux rappeuses qui l'ont influencée, de Roxanne Shanté à Jean Grae, ou sur "The Journey", une histoire de l'esclavage relatée avec une perspective féminine.

Cependant, si … The Journey Aflame place Akua Naru sous les feux de quelques projecteurs, ce n'est pas seulement pour ses thèmes. C'est aussi en raison du travail des Allemands qui l'ont aidée. Ils lui ont prodigué les sons qui vont à son personnage : une production suave et racée, parfois agrémentée de scratches discrets, augmentée de samples world music, et au feeling très organique avec ses "vraies" percussions, ses orgues chaleureuses, ses saxophones classieux, ses voix soul et ses guitares langoureuses (pour la petite histoire, il existera un an plus tard une version live de l'album, Live & Aflame Sessions, enregistrée avec le groupe DIGFLO).

Comme souvent avec ce rap premier de la classe, l'ennui pointe parfois son vilain nez. La posture est trop sage, le message trop convenu. Mais quelques gemmes excusent cela comme le délicat "Mourning", ce "Nag Champa" presque murmuré, ce finale très soul qu'est "Rhyme Writers High", ainsi que "The Journey", le plat de résistance de cet opus.

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