Tout vient de Houston. C'est en grande partie de la ville texane qu'est issu le gangsta rap paroxystique de psychopathe, devenu avec le temps l'ordinaire du hip-hop. Et même si on le sait moins, c'est là-bas aussi qu'a été mise au point cette posture hypersexuée qui, elle aussi, est devenue une norme en matière du rap, quand il est conjugué au féminin. La vilaine fille originelle, ce n'est ni Lil' Kim, ni Foxy Brown. Ce ne sont même pas les pionnières de BWP et de H.W.A. C'est Kim Davis, alias Choice. Originaire de San Antonio, celle-ci avait fait son entrée dès 1989, sur le premier album de Willie D. A l'occasion d'un duo avec le rappeur des Geto Boys élégamment intitulé "I Need Some Pussy", elle clamait bien fort être classée X. Elle se prévalait d'avoir une chatte plus grande que la Bolivie et, si besoin, de la fesse à revendre. C'en était assez pour que J. Prince la signe sur Rap-a-Lot et qu'elle y sorte un an après The Big Payback.

CHOICE - The Big Payback

A cette époque, Houston n'avait pas encore de style propre. Celui pour lequel optait la rappeuse sur cet album n'avait donc rien de neuf, il respectait scrupuleusement les canons du rap américain de la fin des années 80 avec ses sons funky et son goût pour le storytelling. Côté paroles, en revanche, c'était toute autre chose. Choice y délivrait une longue suite d'insanités, avec une abondance de jurons. Elle privilégiait la force de ses injures à la sophistication de ses rimes pour affirmer sa personnalité, se déclarant avant toute autre une "Bad Ass Bitch".

Sur ce même titre, la Texane proclamait aussi que les femmes aimaient les sexes bien durs, une idée qu'elle développait avec plus de précision quand, sur "Mr. Big Stuff", elle dressait le portrait de son amant idéal. Suivait un hymne à la fellation avec "Nothing but Sex", où elle enjoignait les hommes à lui rendre la faveur, avant qu'elle ne leur donne une leçon de cunnilingus sur "Cat Got Your Tongue". Sur "Pipe Dreams", Choice illustrait avec les gémissements de circonstance ses fantasmes et souvenirs sexuels. Et avec "Minute Man", elle lançait une tradition promise à un bel avenir : celle des rappeuses mécontentes de leurs amants, qu'ils les trompent sur leur condition maritale, ou qu'ils jouissent bien trop vite au lit.

Mais le monde n'était pas prêt. Malgré un succès raisonnable, et la sortie deux ans plus tard d'un autre album, Stick-N-Moove, Choice allait retomber bien vite dans l'oubli. Il faut dire que, dès The Big Payback, elle avait mis en danger ses chances de faire carrière, en insultant à peu près tout ce que le gangsta rap comptait de stars. Sur "Payback", en prenaient pour leur grade rien de moins qu'Eazy-E, Ice Cube et N.W.A. dans son ensemble, Too $hort, et les Geto Boys de son ancien associé Willie D. Ce dernier le prendrait d'ailleurs plutôt mal, répondant à la rappeuse par un virulent "Little Hooker", un titre de son album I'm Goin' Out Lika Soldier.

Dans la plus pure tradition du rap, Choice avait voulu affirmer sa supériorité en dénigrant ses rivaux. Elle joignait même le geste à la parole quand, sur la pochette de l'album, elle piétinait des casquettes aux noms de tous ces gens. Mais la charge était sans doute un peu forte. Et puis, quand bien même elle cherchait à mettre son corps en avant, exposant ses fesses et marchant en talons hauts, elle ressemblait davantage à une drag queen qu'à une jolie poupée, et n'avait donc pas les atouts physiques qu'utiliseraient sans vergogne, quelques années plus tard, toutes ces femmes qui transformeraient en norme ce hip-hop très explicite. Ce sont celles-ci, qui feraient entrer le rap féminin dans une ère que Choice n'aura fait qu'annoncer.

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