Le plus grand rappeur français est, sans doute aussi, le plus américain. Si Booba est devenu le centre de la scène hexagonale, c'est qu'il a toujours su jeter un œil ou pointer une oreille de l'autre côté de l'Atlantique. Tout au long de sa carrière, des influences new-yorkaises du début à ses essais plus récents à l'Auto-Tune, il a suivi les tendances états-uniennes.
Son style d'écriture fait d'une suite décousue de punchlines et d'analogies, à rebours de la tradition narrative de la chanson française, vient de là, tout comme son immoralisme, ses provocations, ses métaphores ordurières et les frasques de sa vie privée. Il a décoincé le rap français, il l'a rendu moins scolaire, il l'a fait grand, mais en s'inspirant des recettes US. Et cela vaut aussi pour l'usage qu'il a fait du format mixtape.
La première mixtape de Booba, Autopsie Vol. 1, date de 2005, et elle adopte la forme popularisée peu avant par 50 Cent : celle d'un quasi album, compilant inédits, freestyles, featurings, titres exogènes, et destiné à maintenir l'intérêt des fans dans les moments de latence entre ses disques officiels.
Avec lui, c'est même millimétré. Il suffit de jeter un œil à sa discographie pour le constater : à chaque année paire, correspond un album, et à chaque année impaire, une mixtape. Ou plutôt un street CD, comme on les nomme en France.
Toutes ces sorties parallèles ont été disponibles dans le commerce sous ce format physique, via Tallac, le label du rappeur. La troisième édition d'Autopsie, mixée par DJ Medi Med, se vendit d'ailleurs même si bien qu'elle devint disque d'or, une première en France pour ce format alternatif.
Il faut dire qu'elle ne manque pas d'atouts. Il y a tout d'abord son tube, "Double poney", soit du Booba au sommet de son art, avec une salve d'analogies où l'offense côtoie un humour pince-sans-rire, et dont l'effet bœuf est décuplé par un son particulièrement lourd. C'est encore la même aisance qui anime ces égo-trips que sont "Ne me parle pas de rue" et "Rats des villes", tout autant que l'intense "Foetus".
Et même quand des beats douteux l'accompagnent, ou qu'il sacrifie au rituel du voyou sensible, allant jusqu'à pousser la chansonnette sur le joli "La Vie en Rouge", le langage fleuri et plein de facilité typique de Booba emporte le morceau.
Ses invités ont beau être des rappeurs importants du moment ou d'après, comme Seth Gueko, Despo Rutti ou Dosseh, Booba les éclabousse de son talent. Plus il intervient, mieux c'est ; moins il le fait, et plus on est confronté aux platitudes du rap français, comme avec le pénible "Trashhh".
Ses collaborateurs ont de la hargne et de la tchatche, mais les punchlines sont moins fines, l'ironie moins présente, les raps plus forcés. De vieux thèmes rabâchés comme le racisme sont traités sur un mode frontal, alors que Booba l'aborde de façon implicite, détournée, et d'autant plus efficace. Les emprunts à l'Etoile de Dakar ou au dancehall de Busy Signal et de Capleton (tous extérieurs au rap, tous bons) mis de côté, on peut en fait ne reprocher qu'une chose à cette troisième mixtape de Booba : les moments où il en est absent.
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