Le plus grand rappeur français est, sans doute aussi, le plus américain. Si Booba est devenu le centre de la scène rap hexagonale, c'est qu'il a toujours su diriger un œil ou une oreille de l'autre côté de l'Atlantique. Tout au long de sa carrière, des influences new-yorkaises du début à ses essais à l'Auto-Tune, il a suivi les tendances américaines. Son style d'écriture, fait d'une suite décousue de punchlines et d'analogies, en rupture avec la tradition narrative de la chanson française, vient de là, tout comme son immoralisme, ses provocations, ses métaphores ordurières et les frasques de sa vie privée. Il a décoincé le rap français, il l'a rendu moins scolaire, il l'a fait grand, mais en s'inspirant des recettes américaines. Et cela vaut aussi pour l'usage qu'il a fait de la mixtape.

BOOBA - Autopsie Vol. 3

Tallac :: 2009 :: acheter la mixtape

Sa première, Autopsie Vol. 1, date de 2005, et elle a adopté le format popularisé peu avant par 50 Cent : celui d'un quasi album, compilant inédits, freestyles, featurings, morceaux exogènes, et destiné à maintenir l'intérêt des fans dans les périodes de latence entre ses disques officiels. Avec lui, c'est même millimétré. Il suffit de jeter un œil à sa discographie pour le constater : à chaque année paire, correspond un album, et à chaque année impaire, une mixtape. Ou plutôt, un street CD. Toutes ces sorties parallèles, en effet, ont été disponibles dans le commerce sous ce format physique, via Tallac Records, le label du rappeur. La troisième édition d'Autopsie, mixée par DJ Medi Med, se vendit d'ailleurs même si bien qu'elle devint disque d'or, une première en France pour ce format alternatif.

Il faut dire qu'elle ne manquait pas d'atouts. Il y avait tout d'abord son tube, "Double Poney", soit du Booba au sommet de son art, avec une salve d'analogies où l'offense côtoyait un humour pince-sans-rire, et dont l'effet bœuf était décuplé par un son très lourd. C'était encore la même aisance qui animait ces égo-trips qu'étaient "Ne Me Parle pas de Rue" et "Rats des Villes", tout autant que l'intense "Foetus". Et même quand des beats douteux l'accompagnaient, ou qu'il sacrifiait au rituel du voyou sensible, allant jusqu'à pousser la chansonnette sur le joli "La Vie en Rouge", son langage fleuri et plein de facilité emportaient le morceau.

Ses invités avaient beau être des rappeurs importants du moment ou d'après, comme Seth Gueko, Despo Rutti ou Dosseh, Booba les éclaboussait de son talent. C'était même simple : plus il intervenait, mieux c'était ; moins il le faisait, et plus on était confronté aux platitudes du rap français, comme dans le cas du pénible "Trashhh". Ses collaborateurs avaient beau avoir de la hargne et de la tchatche, les punchlines étaient moins fines, l'ironie moins présente, les raps plus forcés. De vieux thèmes rabâchés comme le racisme étaient traités sur un mode frontal, alors que Booba l'abordait de façon implicite, détournée, et d'autant plus efficace. Les emprunts à l'Etoile de Dakar ou au dancehall de Busy Signal et de Capleton (tous extérieurs au rap, tous bons) mis de côté, on pouvait en fait ne reprocher qu'une chose à cette troisième mixtape de Booba : les moments où il en était absent.