Detroit est la nouvelle Mecque du rap. Peut-être l'est-elle-même depuis longtemps, mais nous ne l'avons réalisé que tardivement, grâce aux sorties des Doughboyz Cashout, à l'engouement médiatique autour de Tee Grizzley et aux projets récents de Peezy, comme ce Ballin Ain't A Crime déjà vanté sur ces pages. A ces gens, il faut ajouter un autre rappeur, BabyFace Ray, un proche du dernier cité. Membre comme lui de la Team Eastside, il a commencé à se faire connaître en 2015, avec Gt X Mia (une collaboration avec un autre homme de Detroit, GT) et son solo M.I.A. Season, puis il a donné suite avec une salve d'autres mixtapes.
Legend, son premier projet de 2017 (un autre, Trillest vient tout juste de sortir), mérite l'attention. Comme souvent en ces lieux, la formule est prévisible, elle est même absolument standard : il s'agit d'un égo-trip gangsta, des paroles génériques de délinquants, adoucies ci et là par des passages tristes ou atmosphériques ("Doubt It", "MS", "Ball"), des chants sous Auto-Tune ("Yo Bitch", "Dark Place") et des aventures en terrain R&B, comme sur "2Turnt" avec Team Eastside Snoop, et sur "Fall In Money". La familiarité est renforcée encore par la participation d'autres figures locales : Peezy et GT bien sûr, mais aussi Leek Hustle et Ponae.
Mais on y retrouve aussi, plus originaux, les chœurs de castrat de "Trumpets". BabyFace Ray se démarque aussi par une voix douloureuse qui mange ses mots, par un ton plus mélancolique que ceux de ses compères, qui lui donne un faux air de Starlito du Nord, et qui fait des miracles sur le morceau final, "Football Pads", le meilleur de l'album.
On y entend aussi, dans leurs déclinaisons les plus abouties, les spécificités sonores de cette musique substantiellement nordique : une prédilection pour des sons secs et synthétiques, d'une froideur particulière (le formidable "Best Friends", le single "Legend", "Motivation"), des connexions avec la scène de la Bay Area, traduites par le renfort de Philthy Rich sur le titre "MS" et, derrière les rodomontades, le pessimisme et la résignation du survivant de la rue. Certes, tout ce qui nous arrive de Detroit ces derniers temps correspond à la même description. Mais ici, presque tout est bon.