Shampelle Everett, alias DJ S&S, a non seulement été l'un des maîtres new-yorkais de la mixtape, au cœur des années 90. Il a aussi été, avec DJ Clue?, le champion des exclusivités. A l'origine un émule de Kid Capri, il a progressivement chargé ses cassettes de morceaux inédits, qu'il dénichait par tous les moyens, y compris le vol, tirant profit du réseau considérable qu'il avait construit dans le milieu rap, du fait de son activisme de DJ et de sa proximité avec les gens de Diggin’ In The Crates. Ce faisant, il a suscité l'hostilité de certains rappeurs, inquiets de voir leurs idées exposées trop tôt aux copieurs, et de l'impact négatif supposé sur leurs ventes. Mais il a bénéficié aussi de la complicité de quelques autres, qui comprenaient que les mixtapes allaient devenir des supports promotionnels, plutôt que des soirées ou des programmes radio de substitution.

DJ S&S - Niggas Aint Nice

Autoproduit :: 2005 :: écouter la face a :: écouter la face b

S&S a diffusé plusieurs cassettes d'anthologie, notamment la série des Something for that Ass, qui allaient révéler, bien avant qu'ils ne soient disponibles, le "What's My Name" de Snoop Doggy Dogg, des inédits de Notorious B.I.G., ainsi qu'une bonne part du classique Illmatic de Nas, à la fureur de ce dernier. Un peu plus tard, il poursuivrait avec les Niggas, comme Niggas Don't Give a Fuck, avec son partenaire Craig G, ainsi que Niggas Aint Nice. Sortie vers 1995, cette mixtape capturait alors, l'année de son pinacle, l'essence même du classic rap new-yorkais.

Qu'elle soit faite d'inédits, de raretés ou de titres déjà connus (tout cela n'a plus d'importance, tant d'années après), dans des versions originales, alternatives ou remixées, sa sélection offrait une place à tous. Presque tous les grands noms de l'époque étaient là : Onyx, dont le "Walk In New-York" ouvrait très pertinemment les hostilités, mais aussi Biggie, Pete Rock & CL Smooth, Jeru the Damaja, M.O.P., Brand Nubian, les Lords of the Underground, Redman, Craig Mack, Keith Murray, Gangstarr, Group Home, O.C., des membres du Wu-Tang Clan, les vétérans LL Cool J, Slick Rick et Erick Sermon, ainsi que Mary J. Blige, pour une touche R&B heureusement très légère et bien sentie, et le basketteur rappeur Shaquille O'Neal.

Des années après, en écoutant cette mixtape, on y est toujours, à New-York, en 1995, au faîte absolu de sa gloire rap. En plus de sa sélection irréprochable, DJ S&S a par ailleurs su faire étalage de son art, faisant se succéder les morceaux avec une cohérence pas toujours simple à atteindre lorsqu'on se livre à ses exercices compilatoires, avec tout juste ce qu'il faut de scratches et de manipulations sonores. La seule limite en fait, le gros défaut qui a souvent été reproché aux DJs en général, et à celui-là plus que tout autre, c'est de multiplier les hurlements et les interjections, de lancer en permanence des "yeah" ou des "come on" insupportables. La plupart du temps, il prend bien soin de le faire sur la musique, plutôt que sur les paroles. Mais tout de même, on frise l'overdose.

C'est le seul vrai signe des temps, celui qui gâte encore l'écoute d'un DJ qui fut crucial à son époque, juste avant que de nouvelles générations ne le dépassent. Ses grandes années sont en effet bien derrière lui, et pourtant, S&S poursuit son travail : aux dernières nouvelles, devenu DJ SNS, il continue d'enregistrer des mixtapes, parfois même en duo avec son fils, le producteur et rappeur Lil SNS.