Parmi les labels importants de la scène hip-hop indé de la fin des années 90, il y eut WordSound, l'écurie dirigée par Spectre, alias Skiz Fernando. Mêlant leur hip-hop sombre et dérangé au jazz ou au dub, tentant à l'occasion des aventures bruitistes, les artistes maisons flattèrent les instincts des expérimentateurs et des élitistes de tous poils, par exemple ceux du magazine anglais Wire, qui fit durablement de ce label l'une de ses sources d'approvisionnement en rap bizarre, et qui offrit même une couverture à son rappeur emblématique, Sensational.

SCOTTY HARD - The Return of Kill Dog E

WordSound :: 1999 :: acheter cet album

Ce n'est pourtant pas les albums hallucinés de ce personnage allumé et détruit par les drogues qu'il faut nécessairement retenir de l'aventure WordSound. Non. Il faut peut-être se pencher plutôt sur ce premier disque de Scott Harding, ou Scotty Hard, un producteur d'origine canadienne qui, d'après son dossier de presse, avait collaboré avant avec Kool Keith, Cypress Hill, BDP, le Wu-Tang Clan et, bien au-delà du domaine du rap, Vernon Reid, Björk et le Jon Spencer Blues Explosion.

Le champ d'intervention de ce beatmaker était large, donc. Et cela s'entendait sur ce The Return of Kill Dog E en plein dans l'ambiance glauque du rap underground de l'époque. L'album avait beau être bâti autour d'un concept, l'histoire de Kill Dog E, un gangster devenu serial killer (laissant pour seuls indices sur les scènes de crime trois dés et un rasoir Bic), il était décousu et inégal. Fait de bric et de broc, sans vraie logique interne, comme tant d'autres disques issus du même label.

Sans crier gare, Scotty Hard nous baladait de solos de basse jazzy ou d'une guitare bringuebalante ("Lurkin in the Shadows", "Raw Nerves") à un spoken word entonné sur fond d'accordéon par une sorte de Tom Waits rap ("Days And Nights Of Wine And Roses"), puis à des bouts de dialogues en espagnol ("Muchas Olas"), ou encore aux braillements du rappeur Sebstop sur "Spittin in the Eye of the World". On y trouvait aussi bien sûr des vers dérangés de Sensational sur "Pockets Fat", ainsi qu'un fatras de clochettes, sons synthétiques et percussions lourdes.

C'était souvent obtus, ça laissait l'auditeur dubitatif, parfois même pantois. Une poignée de titres, cependant, portaient l'album. Les déclamations rauques, les cordes enlevés et les basses fracturées de "Modus Operandi: 456" par exemple, toutes assemblées comme si elles devaient s'écrouler, faisaient leur effet, ainsi qu'un "Who Said (What?)" plus standard avec sa boucle de piano mélancolique.

Mais si l'album est aujourd'hui toujours notable, c'est pour une raison principale, appelée Antipop Consortium. Deux membres du trio contribuaient ici à deux des meilleurs titres. Le ténébreux "Dark Blocks", tout d'abord, avec Sayyid ; et puis surtout, avec le même, mais renforcé par High Priest, un somptueux "Bubble in the Haze" servi sur une instru lente, éthérée et nimbée à souhait. Rien que pour ce titre, Scotty Hard, Skiz Fernando et WordSound ont mérité d'avoir existé un jour.