On a le droit de ne pas aimer Criminal Minded. On peut admettre que ce disque a vieilli, comme beaucoup dans ces fondatrices années 80, que ses beats décharnés portent la marque de leur époque avec leur couleur très James Brown et le prévisible sample d’AC/DC sur "Dope Beat". Cependant, on ne peut pas contester son impact et son influence. Le premier Boogie Down Productions fut en effet, entre autres, le fondement du rap hardcore qui dominerait la décennie suivante.

BOOGIE DOWN PRODUCTIONS - Criminal Minded

B-Boy Records :: 1987 :: acheter cet album

Cet album est parfois présenté comme fondateur pour le gangsta rap. Logique, vu le titre, vu aussi cette pochette où le duo s’exhibait lourdement armé, vu encore ces titres qui exploraient comme jamais les thèmes de la violence et de la criminalité, alimentés par l’expérience d’un rappeur, KRS-One, ex SDF et ancien trafiquant de drogue. "9mm Goes Bang", par exemple, mettait en scène une fusillade, et "Remix for P Is Free" nous parlait d’une prostituée junky. Et ailleurs, sur "South Bronx" et "The Bridge Is Over”, notre homme se montrait particulièrement acrimonieux quand il s’en prenait à MC Shan, à Marley Marl et à l'ensemble de la scène de Queensbridge. L'aspect prémonitoire de tout cela sera renforcé par le meurtre de Scott La Rock, le beatmaker, peu après sa sortie.

Mais Criminal Minded ne saurait se résumer à cette seule dimension, il était plus complexe, plus nuancé. Des titres comme "Word from Our Sponsor", "Elementary" et "Super Hoe" retenaient encore un peu de l’esprit joueur et bon enfant de la old school. Et c’était un constructif "Poetry" qui ouvrait le disque, un titre où l’autodidacte et bibliophile KRS-One optait pour un registre qu’il ne ferait qu’affirmer dans le futur : celui du sage des rues, de la conscience du rap, du "teacher". Enfin, l’album avait pour originalité une forte tonalité jamaïcaine, naturelle chez un KRS-One d’origine caribéenne plutôt qu’afro-américaine. Les sons du raga et du dancehall coloraient en effet près de la moitié des plages.

L’influence de KRS-One sera visible chez N.W.A., qui samplera avec éclat un "it’s not about a salary, it’s all about reality" issu du second Boogie Down Productions. Mais la véritable postérité du "teacher" est à chercher plus près de lui, sur la Côte Est. C’est le même ton offensif que sur Criminal Minded et son successeur, By All Means Necessary, les mêmes basculements entre esprit criminel et appels à la responsabilité, le même minimalisme boom bap, et parfois, les mêmes accents jamaïcains, que l’on entendra dans la décennie à venir, chez Black Moon par exemple, quand commencera l’époque bénie de la Renaissance rap new-yorkaise.