Odd Future, Lil B, G-Side, Main Attrakionz, Curren$y, A$AP Rocky, Danny Brown, etc... Depuis quelques mois, de nouveaux noms semblent envahir la scène hip-hop américaine, à un rythme qu'on n'avait plus connu depuis la décennie 90. Après des années 2000 qui, pour beaucoup, ont été synonymes de disette, et où des superstars comme Jay-Z, Kanye West, Lil Wayne et Drake ont pu faire écran, d'autres rappeurs, plus iconoclastes, semblent sortir soudainement en masse de la confidentialité d'Internet, pour s'imposer dans des médias importants. Et c'est à tous ces gens que le magazine Spin a voulu dédier son dernier numéro.

SPIN - The Changing Face of Hip Hop

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Comme souvent avec les journalistes, ceux de Spin ont cherché à donner un sens à cette effervescence chaotique. Ils ont voulu y déceler un nouveau mouvement, une nouvelle tendance, une nouvelle génération. Ce n'était pas une mince affaire, car formellement, hormis peut-être ce goût prononcé pour l'ambient, pour les nappes et pour ce que Main Attrakionz a appelé le cloud rap, tous ces gens partagent peu de choses. Cela n'a tout de même pas découragé les auteurs de regrouper tous ces rappeurs sous le nom générique de "New Underground".

S'il y a un nouvel underground, c'est qu'il y a aussi eu, autrefois, un ancien. Et ce premier underground, on vous le donne en mille, c'est selon Spin celui que l'on connait particulièrement bien sur nos pages, celui porté, à la fin des années 90, par des labels comme Fondle'em, Solesides, Rhymesayers, Stones Throw ou Fat Beats. Odd Future & co nous referaient donc le même coup, celui de la défiance envers le business et les gros labels, celui de la prise en main de son destin.

Cette lecture se défend, mais elle se conteste aussi. Car d'abord, tous ces gens ne sont pas si underground que cela. Curren$y, par exemple, est d'abord apparu dans l'ombre de Lil Wayne. Yelawolf a été pris en main par Eminem, et de vieilles connaissances comme Lil Jon et Kid Rock sont invités sur son dernier album. Et à lire l'article sur Odd Future, qui les montre en tournée, confrontés à l'adulation frénétique de leurs fans, il est clair que, déjà, ceux-ci sont un groupe de stades. Ce que confirme la cartographie maline et rigolote dressée par le magazine, les meilleures pages du dossier (mention spéciale à la catégorie "guys who think it's 1993"), en classant la bande à Tyler dans la constellation du rap mainstream.

Aussi, tout n'est pas nouveau dans cet underground, loin de là. Les sons électroniques, le goût de l'expérimentation, la fin de l'allergie au rock, le web marketing maîtrisé et la posture introspective, qui caractérisent beaucoup de ces nouveaux artistes, ont tous été des traits majeurs du vieil underground ; ou plutôt, pour être plus exact, de sa deuxième vague. Pas celle de Mos Def, de Talib Kweli et de leur hip-hop de mormon ancré dans le rap conscient et l'esprit Native Tongues des années 90, mais celle d'Anticon et ses successeurs, les Mush, Plague Language, Strange Famous, Fake Four, etc... Même le provincialisme assumé, dont parle l'article dédié à G-Side et à leur bonne ville de Huntsville, en Alabama, est un processus depuis longtemps en marche, tant dans le vieux rap indé que dans le Dirty South, et qui a déjà marqué le rap de la décennie précédente.

En fait, ce qui est neuf avec ces gens, c'est le brouillage des frontières, c'est le mélange de caractéristiques mainstream et underground. Cette convergence, l'article le souligne, a commencé il y a longtemps déjà, dès le moment où Kanye West a prétendu être le "first nigga with a Benz and a backpack", ou encore, quand Lil Wayne a cumulé une carrière de superstar et un statut d'icône street rap sortant des mixtapes à tire-larigot. Odd Future et les autres ont des traits propres à l'underground post-Anticon. Mais contrairement à eux, ils sont dangereux, flamboyants et pleins de morgue, comme les rappeurs du passé ; ils sont cools, ce ne sont pas des nerds malingres reclus au fond de leur chambre, et tant pis si les trois quarts de la production d'Odd Future est en fait à jeter. Qui plus est, à un Yelawolf près, la plupart sont des Noirs, ce qui, dans un renversement complet de paradigme depuis les années 50 et 60, est un gage complémentaire de crédibilité.

De fait, quand un magazine de la taille de Spin proclame l'irruption d'un nouvel underground, c'est que celui-ci n'est déjà plus vraiment nouveau, ni tout à fait underground. C'est que nous sommes dans un entre-deux, à la croisée des chemins. Ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise nouvelle. Car de tout temps, les meilleures œuvres de la musique populaire, rock, rap ou autre, sont nées de la rencontre entre l'underground et le grand public, de la contradiction entre l'envie d'expérimenter et celle de plaire. Soit, là pile où se situent tous ces gens dont nous parle Spin, et dont on attend avec impatience, pour ceux qui ne l'ont pas encore fait, qu'ils respectent très rapidement leurs promesses.