Si la Grande-Bretagne a toujours eu du DJ à revendre, une légende tenace a longtemps voulu qu’elle ait manqué de rappeurs de valeur. Certes, on peut citer Slick Rick, à titre d’exception, mais la carrière de celui-ci s'est construite à New-York plutôt que dans son pays d’origine. C’est donc à un autre Anglo-jamaïcain, Rodney Smith, alias Roots Manuva, que reviendrait la gloire de décomplexer son pays, grâce à ce petit bijou de premier album qu'a été Brand New Second Hand.

ROOTS MANUVA - Brand New Second Hand

Big Dada :: 1999 :: acheter ce disque

Quelques années après s'être fait remarquer auprès de Blak Twang, autre artiste important du hip-hop à l'anglaise, le rappeur londonien y donnait en effet une leçon de emceeing : voix d’un grave abyssal, phrasé net et précis, succession de considérations sociales pertinentes et d'explorations introspectives, auxquelles s'ajoutaient un pouvoir d’évocation et un sens de la formule rarement perçus de ce côté-ci de l’Atlantique ("I don’t wanna be, I am !" en guise d’anthologie).

Roots Manuva aurait pu s’en tenir là et se contenter de satisfaire ses compatriotes par ses prouesses au micro. Mais le travail de production sur Brand New Second Hand tenait tout autant la route. Effroyablement sombre, à faire passer les plus gothiques des rappeurs underground pour de joyeux lurons, il recourait avec abondance aux sons de cordes synthétiques, à quelques réminiscences électro et aux expérimentations des voisins de Ninja Tune (la maison mère de son label, Big Dada), tout en y intégrant fréquemment les musiques de son île d’origine.

Reggae, dancehall et ragga jamaïcains occupaient en effet une bonne partie de l’album, sans que cela ne paraisse ni abscons ni artificiel. Le passage abrupt du rap austère de "Movement" au ragga échevelé de "Dem Phonies" ne surprenait qu’une seule fois. Par la suite, c’est tout naturellement que les deux genres se fondaient en un seul, sur "Inna", "Baptism" et "Strange Behavior", par exemple. Même sur les morceaux exclusivement rap, les basses profondes et les beats dépouillés qui accompagnaient le rappeur évoquaient les vapeurs du dub.

Certes, même avec Rodney Smith (son vrai nom) au micro, un bon album de rap anglais ne valait pas encore un classique hip-hop américain. La froideur extrême de certains titres de Brand New Second Hand ("Sinking Sands", "Wisdom Fall") fascinait, mais sans vraiment séduire. Cependant, l’excellence de "Movement", "Jungle Tings Proper", "Soul Decay", "Strange Behaviour", "Clockwork" et de "Motion 5000" démontrait et démontre encore, à tous ceux qui en ont douté, qu'il a existé, dès la décennie 90, un rap anglais original et de toute première classe.