Après avoir exploré toutes les facettes d'un punk hardcore frénétique, le rock alternatif américain a commencé dès la fin des années 80 à rebrousser chemin. Sans rien renier d’une certaine fureur, tout en conservant une sensibilité à fleur de peau, certains ont freiné le tempo et redécouvert les plaisirs vénéneux de la lenteur. Au bout de cette route, au terme de cette formule qui portera à l'occasion les noms de slowcore, voire de sadcore, il y a les Californiens d’American Music Club, ainsi que ces protégés de Mark Eitzel que sont les Red House Painters.
Il n’y a pas d’unanimité sur ce qui est le meilleur album proposé par Mark Kozelek et les siens. Down Colorful Hill, le premier album, une compilation de leurs démos, est souvent cité. Ocean Beach ou, plus récemment, les disques proposés par cette nouvelle mouture du groupe qu’est Sun Kil Moon, sont bons. Mais ce disque parfois appelé Rollercoaster, à cause des montagnes russes de la pochette (et pour le distinguer de l’autre album sans titre sorti la même année), est souvent considéré comme ce que les Red House Painters ont proposé de plus accompli.
Le disque est l'essence même de ce style extraordinairement lent et noir. Sur Rollercoaster, le format chanson s’efface derrière de longs textes douloureux, mais assez habiles pour que l’on n’y sente pas la lourdeur d’un pathos exagéré. La formule refrain-couplet s'éteint au profit d’une musique toute en progressions, proche de sa cousine post-rock mais qui, à son opposé, prend le parti-pris de la simplicité et d’un songwriting chiadé. Les tons sépias et le parc d'attraction en ruine de la pochette annoncent on ne peut mieux la couleur, unilatéralement triste, d'une musique qui mêle le spleen d'un Mark Kozelek originaire du Midwest, aux vapeurs toxiques dont la musique de San Francisco, sa ville d’adoption, a toujours été coutumière.
Long, Rollercoaster peut paraître monolithique et pesant. Mais en s'accoutumant à ce son, on distingue des nuances entre ces guitares tantôt gracieuses ("Grace Cathedral Park"), tantôt folk et dépouillées ("Take Me Out", "Rollercoaster"), ou bien sales et noisy ("Strawberry Hill", "Mistress"). On peut entendre un piano gracieux sur une version alternative du même "Mistress", ou sur "Things Mean a Lot" discerner les effets délicats qui subliment la voix de Mark Kozelek (des chœurs sur "Strawberry Hill", une chanteuse sur "Take Me Out"), et frissonner dès les premières notes d’un "Katy Song" tout à fait somptueux, au finale aérien.
L'ennui qui menace, avec des titres aussi contemplatifs que "New Jersey", ne fait en vérité que préparer les crescendos des plages les plus orageuses, ces moments de splendeur où les guitares folky cèdent la place à d’autres, électriques, dissonantes, et parcourues de "lalas" de désespoir et d’abandon ("Funhouse", "Mother"). Car tout, sur Rollercoaster est disposé à propos, rendant essentielle chacune des 75 minutes de cet album bien rempli, mais maîtrisé.
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