Alors que Built To Spill a été considéré assez tôt comme important dans son pays, il a tardé à susciter la même adhésion de l’autre côté de l’Atlantique. Certes, le groupe de Doug Martsch n’est pas passé inaperçu chez nous. Il y a même recueilli des critiques bienveillantes. Mais il leur a souvent manqué l’enthousiasme. Sans doute cet indie rock épique et toutes guitares dehors est-il trop américain, ou bien le sex-appeal lui fait-il défaut, ou encore n’a-t-il pas cette habileté à poser, à présenter sa musique comme un manifeste, qu’affectionne une critique européenne éprise de posture arty.

BUILT TO SPILL - You In Reverse

Mais en 2006, bien après les grands Perfect From Now On et Keep It Like A Secret, sort You In Reverse. Et, allez savoir pourquoi, des gens pour qui Built To Spill n'est alors encore qu’un nom, se passionnnent d'un coup pour le groupe.

Mieux vaut tard que jamais.

Et il est vrai que ce sixième album, sorti après cinq années de silence, ne manque pas d’arguments. Il impressionne dès son premier titre, un "Goin’ Against Your Mind" en tout point exceptionnel. Avec cette durée de près de 9 minutes, avec cette composition fracturée, ces changements de rythme, cette guitare tantôt mordante, tantôt élégiaque, capable de longues épopées où s'entend comme jamais l'influence du Loner et de son Crazy Horse, cette chanson regroupe d'un coup le meilleur du groupe. Elle offre d'un bloc une sorte de condensé, un best-of express de Built To Spill.

Et après une telle prouesse ? Eh bien c'est toujours du pur Doug Martsch. C'est une musique accidentée, parcourue d’envolées de guitares plus Neil Young que jamais (écoutez donc l’introduction de "Wherever You Go") et d’autres détails impromptus (le finale ska de l'héroïque "Mess With Time"). Cependant, le tout est présenté dans une version adoucie. Sur You In Reverse, Doug Marsch privilégie les ballades (des ballades certes jamais prémunies contre les cassures, les tempos changeants et les guitares abrasives), dont certaines sont absolument somptueuses ("Traces", "Liar").

Les hasards de la distribution, la qualité de la promotion, des goûts particuliers et le changement de génération ont dû jouer. Mais il reste surprenant que le public d’ici n’ait pleinement accroché à Built To Spill qu’avec cet album. Parce qu’il privilégie un peu plus les douceurs, parce qu’il se termine de façon apaisée plutôt qu’en apothéose, la faute aussi à quelques passages moins inspirés (un "Conventional Wisdom" fadasse, pourtant choisi pour être le lead single), You In Reverse présente un léger déficit d’intensité par rapport à ses prédécesseurs. C’est pourtant cet album qui est le mieux reçu en France. Et il n’y a lieu que de se réjouir si, sur le tard, il a permis aux gens d'ici de découvrir cet excellent groupe.

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