2007 :: acheter ce DVD

  • Corbijn ne donne pas dans la mythologie rock’n’roll. Fi du surhomme mis en scène dans d’autres biopics rock. Pas de figure sacrificielle, pas d’artiste christique venu expier théâtralement les fautes de son public. Ian Curtis n’est qu’un jeune homme introverti, banal et un peu lâche, qu’un certain nombre de mauvais choix ont précipité dans une impasse affective.
  • Issu lui-même du milieu de la musique, le réalisateur ne le fantasme pas. Il le décrit tel quel, avec ses petitesses, ses banalités, sans frasques excessives. Ainsi de ces virées dans une voiture dont le chauffage tombe en panne ou de ces pets auxquels s’adonnent les musiciens stressés dans l’attente d’une audition. Backstage, le monde est le même que le nôtre, l’amateurisme y domine, qui dicte le nom du groupe, l’organisation d’un concert raté et tout autre détail entré depuis dans la légende du groupe.
  • Le rock n’est pas un ogre qui mange ses enfants. Il est même plutôt sympathique. Les autres membres de Joy Division y entrent avec envie et appétit, dans un état d’esprit jovial que traduit mal la noirceur de leur musique. Ian Curtis lui-même ne maudit pas cette nouvelle existence. Tout allait bien du temps d’Unknown Pleasure, précise-t-il, quand sa vie d’artiste commençait à lui apporter satisfaction, sans menacer pour autant ce qu’il avait commencé à bâtir avec sa femme Debbie. Ce qui le tue, ce n’est pas le rock, mais au contraire cette autre vie banale qu’il renonce à quitter.
  • Corbijn ne présente pas Curtis comme un héros. Mais il ne déboulonne pas la statue non plus, il ne démolit pas l’idole. Le chanteur qu’il met en scène est réellement génial et possédé. Alors que certains s’ingénient à prouver que les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel, le cinéaste montre à l’inverse que les gens exceptionnels sont finalement assez normaux. Le moteur du talent de Curtis, outre une prédisposition à la mélancolie, l’angoisse causée par son épilepsie et une incapacité à extérioriser autrement que par la catharsis du chant, c’est un bête triangle amoureux, c’est cette impasse où l’a conduit son amour simultané de deux femmes.
  • Il n’y a dans ce film ni morale, ni manichéisme. Les membres du groupe, leur manager Tony Wilson et la maîtresse belge de Curtis sont montrés tels quels, tour à tour sympathiques ou minables, compatissants ou égoïstes. Désespérément normaux, quoi. Seule la femme du chanteur fait exception. Elle apparaît presque sans tache avec son dévouement d’épouse trompée toujours éprise de son mari. Mais il est vrai que Deborah Curtis a coproduit le film, et que son livre est l’origine de la thèse défendue ici. Il aurait donc été bien étrange de la voir occuper le mauvais rôle.
  • Enfin, techniquement parlant, et comme lu un peu partout : les images en noir et blanc ont la touche et la beauté sèche de la photographie rock ; chaque épisode de la vie de Curtis mis en scène éclaire le sens de telle ou telle de ses chansons jouée en bande son ; et l’interprétation par les acteurs des titres d’origine est saisissante de mimétisme et de justesse.

En revanche, Control n’est pas le film social à la Ken Loach que certains ont bien voulu décrire. Certes, l’action prend place dans le nord industriel et prolétarien de l’Angleterre, dans des corons ou des pavillons tristes dont l’aspect déprimant est accentué par les images en noir et blanc. Mais il n’y a pas de discours politique ou de commentaire social, hormis peut-être quand Corbijn montre Ian Curtis en train de travailler pour l’ANPE locale. Avant de véhiculer un quelconque message, le cadre sinistre du film sert à accentuer la banalité du milieu où évolue le chanteur.

Enfin, même si la thèse qui explique son suicide apparaît clairement, le personnage Ian Curtis ne révèle pas ici tous ses mystères. On explique difficilement le mélange de lâcheté et de loyauté qui le caractérise dans Control, sinon par une personnalité introvertie à l’extrême, au bord de l’autisme, incapable de communiquer autrement qu’en chantant, et en cela assez extraordinaire. Terrible est par exemple ce passage où une Debbie cocue fait à son mari la scène qui s’impose, pendant que ce dernier se retranche dans un mutisme angoissant. Car si la vie et le parcours du chanteur sont dans le film marqués par la trivialité, son attitude même demeure en grande partie incompréhensible et insondable.