Le premier à s’y coller, avec beaucoup de retard sur l’horaire prévu, c’est Otem Rellik. On comprend pourquoi la soirée commence par lui : il n’est clairement pas le rappeur le plus charismatique de la création, ce qui était prévisible si on se souvient de ses disques, notamment ce Petrified Human Project chroniqué sur ces pages. Avec sa barbe et son corps enveloppé, le bonhomme se montre moins effacé que le post-adolescent malingre que j’avais imaginé à l’écoute de son rap de chambre. Mais sa musique, fragile, jolie et accrocheuse sur disque, passe mal l’épreuve du live. Surtout quand le rappeur y ajoute sa voix faible, son phrasé sans rythme à la Sole et des difficultés à contrôler son souffle. Tout cela apporte un bon témoignage de ce qu'est Otem Rellik, une invitation à découvrir au casque les sons de cet ami d’Astronautalis, mais la prestation, elle, est bien loin d’être mémorable.

Mais après, ça change du tout au tout. En matière de physique et de look, tout d’abord. Sorte d’Eric Judor (d’Eric & Ramzy) en plus élancé, Demune est à l’opposé de son prédécesseur. Plus fluet, il est aussi plus élégant avec son béret, son écharpe noire, son pull ras-du-cou aux manches retroussées et ses chaussures de ville. Et surtout, le bougre rappe redoutablement bien. Son phrasé rapide et son débit légèrement chevrotant font tout de suite mouche auprès des gens présents. Le rappeur se présente comme un entertainer, il nous demande d'ailleurs de l’expulser de France s’il ne parvient pas à nous divertir. Mais ce soir, aucun risque : dans le bar, tout le monde en redemande. Demune impressionne, même s’il maintient une certaine distance et qu’il reste placide, par exemple quand il s'installe tranquillement sur le comptoir pour reprendre des paroles de Dose One à une vitesse aussi effrénée que l’original. Bref, ce rappeur a un charisme fou et ce qu’il révèle de son répertoire donne furieusement envie de le découvrir sur disque.

Avec le dernier intervenant, la soirée gagne encore en puissance. Autre barbu, Ancient Mith n’est pas avare de son énergie. Il entre dans le vif du sujet en se proclamant de façon tonitruante "real american", drapeau américain et masque de Ben Laden sur la tête. Puis il enlève le haut, arborant sur son torse un bandeau bariolé, simulacre de soutien-gorge. A l’image de cette entrée en scène, la suite est très rock’n’roll. C'est un peu balourd, ça n’est pas toujours subtil, mais le rappeur (rappe-t-il vraiment, d’ailleurs ?) se dépense tellement qu’il ne peut que capter l’attention. Un temps, il monte sur le rebord de la fenêtre. Un autre, il passe de l’autre côté du comptoir, il s'échappe même du bar le micro à la main pour rapper dans la rue. Et il profite de sa proximité avec le public pour blaguer et pour échanger, nous révélant par exemple que George W. Bush et Chuck Norris ne sont en fait qu’une seule personne. Tout au long du show, cette pile électrique ne cesse de bouger et d’inventer de nouvelles danses de St-Guy, à la grande surprise des habitués du bar, lesquels se demandent bien d’où sort un tel énergumène.

L’intérêt de toutes ces pitreries, une fois passées sur disque, reste à prouver. Mais aujourd’hui, nous sommes tous convaincus qu’il faudra aller voir Ancient Mith chaque fois qu’il passera dans notre ville (si toutefois l’occasion se représente un jour), qu’avec lui un bon moment est garanti. Pas de doute, en ce début avril, à 5 euros seulement l’entrée, Demune et Ancient Mith, ont explosé les normes de qualité / prix. Merci aux organisateurs. Ils ont su parier sur les bons chevaux.