Il y a un reproche qu’on ne pourra jamais faire à Oddjobs : celui de n’avoir pas su se remettre en question. Le groupe s'est fait connaître du temps d’Absorbing Playtime par un live hip-hop de bon goût, avec guitares, flûtes, batteries et autres ajouts convaincants du même type. Ensuite, il s'est fendu d’un Drums taillé dans le plus pur classic rap du Mid West. Et plus récemment, il s'est durci sur Expose Negative avec les prémices d’un rap post punk développé quelques mois plus tard par deux de ses membres, Power Struggle, sur leur excellent premier album Arson At The Petting Factory.
Les voix blanches et abrasives des rappeurs sont restées les mêmes, les "véritables" instruments n’ont cessé d’accompagner les beats, mais le rap d’Oddjobs a évolué. Jusqu’à Kill the Vultures, nouvelle mouture du groupe, son autre héritier avec Power Struggle. Crescent Moon, Advizer, Nomi et DJ Anatomy, les quatre rejetons de l’aventure Oddjobs qui composent cette nouvelle mouture, ont cette fois viré jazz.
Mais attention, il ne s’agit pas du jazz rap qui a alimenté la bande-son des années 90. Le leur est aussi dur que l’était le rock d’Expose Negative. Il est fait d’une suite de volées ravageuses de saxophone, de pianos démembrés et de percussions implacables, et le punk n’est jamais bien loin ("7-8-9").
Et bien sûr, les textes sont à l’avenant. C’est du rap hardcore urgent et accusateur, une dénonciation de notre société industrielle et mécanique, des cris d’alarmes comme ce "kill the vultures, before they dine on all of us" entonné en chœur sur le manifeste dur et minimaliste qu’est "The Vultures".
L’audace et l’originalité de cet album méritent à elles seules un coup de chapeau. Mais ce n’est pas son seul mérite. Il est certes moins homogène et évident qu'Arson At The Petting Factory. De prime abord, on se demande même dans quelle voie les ex-Oddjobs ont décidé de s’engager. Quelques titres sont ennuyeux, quel que soit le nombre d’écoutes, comme ce "Good Intentions" et son spoken word sur fond cool jazz. Mais d’autres sont impressionnants, tel le furieux "Sick Days Are Upon Us", ou "Beasts Of Burden", avec son alliance de piano sobre, de saxo suave et de saturation en crescendo.
Oddjobs a délaissé le rap académique qui l’a parfois entravé. Par la même occasion, il a renoncé sans doute au succès, à la reconnaissance. Mais cela est pour le mieux. Que ce soit avec Power Struggle ou avec Kill the Vultures, jamais le groupe n’a été aussi passionnant que depuis qu’il n’existe plus.