D’emblée, et avant même d’en découvrir le contenu, quelque chose frappe sur le nouvel album de dDamage. Sur Shimmy Shimmy Blade, les frères Hanak ont mis le paquet en invitant une cohorte impressionnante d’éminents représentants de la scène rap indé. La scène rap indé d’il y a 5 ans, certes, mais qu’importe : rassembler tant de gens doit prendre un certains temps. Et ils ne doivent pas être bien nombreux, ceux capables d’aligner MF Doom, Bigg Jus, Mike Ladd, Tes, Dose One, Existereo et Orko sur la longueur d’un seul et même disque. Et comme si cela ne suffisait pas, Fred et JB ont sorti aussi un joli magazine promotionnel intitulé Fake/Real (rien à voir avec votre blog préféré, hormis qu'il traite en partie des mêmes gens) où l’on apprend notamment que l’un des frères a couché avec Raymond Barre dans un squat délabré en 1978.

BIGG JUS, RADIOINACTIVE, LA JAE, DDAMAGE - Le Triptyque - 8 novembre 2006

Enfin, last but not least, pour célébrer la sortie de ce nouveau disque, il y a cette soirée Coalition où les Hanak démontrent une fois encore l’étendue de leur carnet d’adresse en conviant deux artistes majeurs, deux rappeurs cultes des scènes rap indé. Côté Est c’est Bigg Jus qui s’y colle, l’ex-Company Flow, l’un des invités prestigieux de Shimmy Shimmy Blade. Côté Ouest, nous retrouvons Radioinactive, Shapeshifter parmi les plus brillants en pleine promotion de Soundtrack to a Book, son réjouissant dernier album. Cela s’annonce bien avec ces deux-là. Et effectivement, cela commence on ne peut mieux, par un open bar sur le rhum, histoire de récompenser les premiers arrivés et de les mettre dans les meilleures dispositions.

Quelques temps après, pas trop tard, c’est Bigg Jus qui ouvre les hostilités. Le gros Noir dreadlocké est jovial, ouvert, sympathique et visiblement satisfait d’être là. Les gens aussi semblent contents de le retrouver par ici, dans cette cave parisienne très conviviale avec son bar, ses fauteuils et ses murs de pierres, devant ce public ni clairsemé, ni trop nombreux. Seulement, voilà, ce show, qui se concentre sur sa carrière solo et sur sa collaboration avec Orko au sein de NMS, n’a franchement rien d’exceptionnel. C’est du hip-hop, quoi, avec ses codes creux et usés, ses levers de bras et tout le toutim, sans même l’entrain et la puissance qui pourrait faire passer la pilule. Et pour couronner le tout, le rappeur remet une couche de politique à deux balles, en nous rappelant, quels scoops, que la guerre ce n’est pas bien et que George Bush n’est pas très gentil, extrait de discours du vilain président américain à l’appui.

Bref, ce soir, c’est davantage le Bigg Jus navrant de NMS que celui des géniaux Company Flow qui se produit devant nous. C’est triste à dire : ce type a bouleversé mon histoire musicale personnelle, sans lui je ne serais sans doute pas en train d’écrire un énième article pour ce site, mais ce soir, je ne suis ni ému, ni impressionné de le voir. Ce soir, il n’est qu’un rappeur sympathique mais transparent de plus. Il suffit d’ailleurs qu’il s’exprime quelques secondes sur "Krazy Kings" (oui, le "Krazy Kings") pour que la vérité saute aux yeux, évidente et cruelle : Bigg Jus, ce n’est peut-être que Funcrusher Plus, ce n’est que 1997. Et ce soir, il est dix ans trop tard.

BIGG JUS, RADIOINACTIVE, LA JAE, DDAMAGE - Le Triptyque - 8 novembre 2006

Pour celui qui lui succède, cependant, tout est différent. Certes, la carrière de Radioinactive est a à peu près aussi ancienne que celle de Bigg Jus. Cependant, lui n’a jamais cessé de prendre de l’ampleur, de s’affirmer, de sortir des disques de plus en plus accessibles. Il a le même âge, et pourtant il est plus frais. Mais là j’arrête car je m’emporte. Je veux aller trop vite, je veux passer dès maintenant au clou de la soirée. Alors qu’avant Radio, il y a eu son compère des Shapeshifters, L.A. Jae. Bon, c’est vrai, son set de turntablism n’a été qu’une transition. Il ne s’est pas défoncé, il n’a pas tout explosé. Pourtant, cependant, toutefois, vous en connaissez beaucoup des DJs qui passent autant de West Coast Underground dans leur session, avec ce qu’il faut de rap old school bien senti et des incartades dancehall ? Nan, vous n’en connaissez pas. Alors merci L.A. Jae, grâce t’en soit rendu, et maintenant, passons à Radioinactive.

Radioinactive, donc c’était bien. C’était très bien. C’était formidable. Ouais, OK, lui aussi il a levé le bras. Mais il l’a fait mollement, avec distance, avec dérision, avec un sourire en coin. Et à part ça, son show n’a rien eu du spectacle hip-hop habituel. Rien du tout. D’abord, il y a ce flow, ce phrasé de dément à la vitesse supersonique qui va toujours plus loin la fois d’après. "Do you like fast rap" ? Ouais, et ça le fait. Et pas seulement pour la prouesse de virtuose, pas uniquement pour ces clowneries qui consistent à rapper en chevrotant ou bien à s'exprimer comme un robot pour rendre hommage à Robocop. Ca le fait surtout et avant tout parce que Radioinactive n’oublie jamais d’être un entertainer, il est là pour donner du plaisir.

BIGG JUS, RADIOINACTIVE, LA JAE, DDAMAGE - Le Triptyque - 8 novembre 2006

En cela, l’ami Kamal est sacrement aidé par le potentiel tubesque des titres de ses albums les plus récents, ses plus accessibles, ses plus pop. Sur scène, c’est prouvé, c’est testé, "Refrigerator" est aussi catchy que sur disque, sinon plus, et ce dans ses deux versions. Radio se concentre donc dessus, au détriment de Pyramidi, dont il n’interprète qu’un morceau, morceau qu’il doit d’ailleurs recommencer car il en a oublié ses paroles. Mais peu importe ce faux pas. Ce soir, tout lui est pardonné. Surtout qu'il termine admirablement bien son affaire en se lançant en duo avec Tido Berman de TTC sur une instru très efficace de Franz Ferdinand. Devant, le pénible public parisien blasé et revenu de tout finit tout de même par s’agiter.

Quand Radio quitte la scène, il est minuit mais la soirée ne fait que commencer. Les stars françaises du spectacle sont prêtes. Seulement voilà, il y a des gens qui habitent loin, d’autres qui ont des obligations, ou les deux à la fois. Une fois encore, il est dit que je manquerai dDamage. Dommage, dDommage, mille fois dDommage. Aux toutes dernières nouvelles, leur show s’est montré ravageur. Mais pour l’heure, je rebrousse chemin, croisant au passage des gens qui ne font que rentrer. "Ah, on n’a rien loupé" dit l’un d’eux. Sombre con, va. Imbécile.

Merci à Niam de True Duke pour les photos
Et merci à Kreme de Laitdbac qui saura pourquoi