Slug est l'un des personnages les plus singuliers et notables du hip hop d'aujourd'hui. Principal inspirateur de l'abondante scène du Mid-West, le MC a su trouver une troisième voie crédible entre conservatisme rap et avant-gardisme outrancier. Représentant un hip hop personnel et introverti, parfois même candide, il est aujourd'hui le principal trait d'union entre les univers de plus en plus complexes et éclatés du rap indé.

Les origines de Slug sont à l'image de son statut dans le hip hop actuel : complexes et éclatées. Aîné de trois garçons, Sean Daley est né en 1973, deux semaines après le mariage de parents qui n'avaient que 19 et 17 ans. Sa mère, Valerie, d'origine scandinave, provenait d'une milieu rural, et son père Craig était bassiste dans le groupe funk de Minneapolis Salt, Pepper & Spice. Il descendait lui-même d'une mère irlandaise et d'un père noir trompettiste de jazz, Bill Daley.

Sean grandit aux côtés de sa mère, divorcée puis mariée à un autre homme, dans les quartiers sud de Minneapolis, auprès d'un voisinage cosmopolite et bigarré. Naturellement, c'est enfant qu'il tombe dans le hip hop. Il est d'ailleurs encouragé par son père à participer à un concours de break-dance, qui y voit le moyen de désinhiber un garçon qu'il juge trop introverti. A cette époque, le hip hop est exclusivement new-yorkais, et le futur Slug adopte toutes les modes ainsi que l'argot venus de la Grosse Pomme. Et il fréquente assidûment la communauté noire, rejetant ses origines blanches, quittant quelques mois sa mère pour s'installer avec son père métis.

C'est à cette époque que Sean Daley rencontre un autre fan de rap de deux ans son aîné, Siddiq Ali, à la Washburn High School, par l'intermédiaire d'un ami commun, Derek Turner. Les trois décident alors de s'associer et de marquer leur solidarité en adoptant chacun un pseudonyme commençant par "s". Siddiq devient Stress, Derek choisit Spawn et Sean opte pour Slug : "limace", pour le côté fragile et hésitant du rappeur, mais aussi "balle d'arme à feu", ou encore l'acronyme de "Sean Likes Ugly Girls".

Mais pour l'heure, en 1993, Slug cherche encore sa voie. Il préfère un moment se cacher derrière les platines, avec Spawn pour MC et Stress pour manager, au sein d'un groupe intitulé Urban Atmosphere. La petite bande qui deviendra le collectif Rhyme Sayers s'aggrandit progressivement, avec l'arrivée d'Anthony Davies, de Beyond (le futur MC Musab), de Mr. Gene Poole et de The Abstract Pack. Le groupe de Slug lui-même, désormais appelé simplement Atmosphere, change aussi de configuration, le DJ devient un MC, et se fait remplacer par Anthony devenu ANT. Plus tard, le groupe sera rejoint sur scène par MC Eyedea et DJ Abilities.

De nombreux freestyles et performances permettent progressivement à Atmosphere de se faire un nom sur la scène de Minneapolis, dont ils deviennent une référence. Avec eux, le rap local change de configuration. A l'image du hip hop en général, il avait trainé tout au long des années 90 une réputation de violence et de gangsterisme. Des polémiques avaient eu lieu, par exemple avec un article publié en 1989 par le St. Paul Pioneer Press et intitulé "Bad Rap" .

En 1996, Slug, Stress et Beyond se distinguent sur la radio publique nationale en appelant de leurs voeux un rap positif libéré de l'emprise des labels et ils attirent l'attention sur la scène de Minneapolis en invitant des rappeurs à venir les défier. Atmosphere profite alors de la profonde transformation que connaît le hip hop avec l'arrivée en masse d'une nouvelle génération d'indépendants : le rap introverti de Slug tranche franchement avec les fanfaronnades habituelles et devient l'un des attraits principaux de Overcast!. Sorti en 1997 et réédité depuis, le premier album d'Atmosphere est aujourd'hui considéré comme l'un des classiques fondateurs du hip hop indépendant.

A la fin des années 90, Slug devient un personnage clé de l'underground hip hop. Preuve de la complexité du personnage, il est associé à différents courants contradictoires du nouveau hip hop. Alors que certains le rapprochent du rap conscient de Common ou de Mos Def pour son côté fragile et réfléchi, d'autres le comparent à une autre icône blanche et underground de l'époque, Eminem, alors loin de MTV, des midinettes et de sa carrière avec Dr. Dre. Pour preuve le morceau caché de Overcast!, où Slug mime une dispute écoeurante de machisme avec sa femme, annonciateur du titre "Kim" sur le Marshall Mathers LP. Par la suite, le rappeur refusera d'interpréter ce titre, consterné par les dizaines de gosses qui le reprendront en choeur et le comprendront au premier degré.

Pour l'heure, la carrière de Slug continue dans l'underground. L'un des épisodes importants de sa vie est sa rencontre avec Sole des Live Poets et avec Dose One. Ces trois blancs adeptes d'un rap décalé et introspectif et qui évoluaient jusqu'ici séparément, se découvrent alors des affinités. Ils se retrouvent en studio à la date fameuse du 26 juin 1998, en compagnie d'Alias et sous le nom de Deep Puddle Dynamics, et enregistrent le noyau central de The Taste of the Rain... Why Kneel?, qui sortira deux ans plus tard. Sole, qui se découvre une âme de manager, décide alors de transformer l'essai et fonde Anticon. Il est rejoint par Dose et Alias, mais Slug préfère poursuivre sa route seul et prendre ses distances avec ce qui devient rapidement le label phare de la seconde vague du hip hop indé.

Depuis, Slug est partout. Il multiplie les featurings sur les albums de ses comparses de Minneapolis et de St Paul, et intervient sur Float, le troisième album d'une autre étoile montante du hip hop : Aesop Rock. En 2001, après 3 EP's, il sort Lucy Ford, le deuxième album d'Atmosphere, nouveau chef d'oeuvre pour certains, déception pour beaucoup qui voient le rappeur verser dans la mièvrerie. Peu importe, ce nouvel album est l'occasion pour Slug de se renouveler et de continuer à faire l'actualité d'un rap indé dont il est l'une des principales figures.