A force de voir grandir le créneau du rap chrétien, il fallait s'attendre à ce qu'en provienne un artiste authentiquement doué. Celui-ci existe donc, il vient de Portland, Orégon, se fait appeler Braille et a sorti en 1999, à 17 ans, un Lifefirst: Half the Battle remarqué sur le circuit indé. Un circuit dont les adeptes sont pour partie, de jeunes garçons de la middle class soucieux de la respectabilité de leur musique de prédilection, hostiles à ses atours matérialistes, et donc prompts à se retrouver dans une approche plus spirituelle du genre. Il n'y a pas de hasard.

BRAILLE - Lifefirst: Half the Battle

Même s'il nous exhorte à "rechercher une relation personnelle avec Dieu", cet album ne s'écarte pas trop, musicalement parlant, des canons de l'underground hip-hop. Rien d'étonnant, puisque l'équipe de production, très fournie, comprend des figures de l'indé comme Celph Titled (qui produit le petit bijou "Ink Blotch") et, dans une veine distincte, Sixtoo et MoodSwing9. Les autres intervenants sont Deeskee, DJ Kno et, moins connus, K IV, Big Balou, et Kiilani. C'est donc une armée mexicaine qui se presse pour produire ce Lifefirst: Half the Battle.

S'y fait jour une prédilection marquée pour les guitares acoustiques (à noter dans ce style, l'excellent "Hard to Determine"), quand ça n'est pas pour quelques cordes ("Sister of Change", "Gullet Gambit") ou flûtes ("Delusive Decorum") étalées ça et là, mais sans pompe excessive. Les producteurs se permettent aussi quelques expérimentations étranges (Kiilani et son sample de Hitchcock sur "Molasses"). Quant à Braille, il ne donne heureusement pas dans le rap béat qu'on était en droit de redouter, même s'il joue aisément au moraliste et déclame à l'envie sa reconnaissance envers Jésus. Sa voix de Blanc est peu affirmée, mais sa scansion est efficace et précise, et il ne s'interdit pas quelques escapades hardcore.

Le seul trait vraiment religieux de l'album, en dehors des paroles, humbles et introspectives, n'est finalement que ce recours fréquent à des samples à base de chœurs éthérés, qui donnent un relent gothique aux compositions de Lifefirst, dans un style proche du premier album halluciné des Jedi Mind Tricks, mais pour un contenu moins sacrilège, bien sûr. Ce qui n'est pas une mauvaise chose, puisqu'avec cette formule, "Antfarm" ("Jesus is coming", paraît-il) et le formidable "Homesick" (aux extraits d'oraison) figurent parmi les meilleurs titres de l'album.

Evidemment, ce militantisme chrétien est à l'écoute presque gênant. Mais nous nous sommes après tout plutôt bien habitués à la virulence du gangsta rap ou aux outrances d'un Necro. Alors, pourquoi pas se mettre aux bondieuseries dans la foulée, histoire d'adoucir nos mœurs ? Personne, outre les habituels détracteurs du rap, n'a jamais cru qu'il fallait prendre les paroles pour argent comptant. Nonobstant quelques effets éthérés un peu faciles ("Gullet Gambit") et quelques titres faiblards ("Abandoned Island"), Braille mérite d'être joué sur nos platines. Avec le temps, nous ne retiendrons de lui qu'une seule chose : il fait du bon rap.

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