Skillionaire Entertainment :: 2000 :: acheter ce disque

Il existe plusieurs types d’albums hip hop : ceux complets, où rappeurs et beatmakers se partagent la vedette ; des albums de producteurs, souvent instrumentaux, aux allures de bande originale de film ; des albums de DJ’s, sur lesquels des pros du turntablism font étalage de leur virtuosité ; et enfin, des albums de MC’s, collections de freestyles ou de titres foutraques destinés avant tout à démontrer l’aisance verbale du rappeur. Thirstin Howl III est sans aucun doute condamné ad vitam eternam à la dernière catégorie. Pour preuve ce second album, Skillosopher, sorti à l’automne 2000, très similaire par le titre, la structure et le contenu à Skillionaire, son prédécesseur sorti pile un an plus tôt.

Sans arrêt, le second disque renvoie au premier. S’y retrouvent une pochette du même tonneau, les mêmes thèmes (les larcins que TH et les siens alignent comme des records, le "million man rush", la fascination pour Ralph Lauren, entre autres), le même ton éploré, la même capacité à passer du rire aux larmes, de la douceur à la dureté, les mêmes fonds musicaux piqués chez les autres, notamment le Wu-Tang (le classique "Glaciers of Ice" de Raekwon, par exemple, sur "Young Viejo"). Autre similitude, ces passages déclamés dans un espagnol approximatif ("Pana de Que"), restant des origines portoricaines du bonhomme. Thirstin Howl pousse la redite jusqu'à réinventer "Brooklyn Hard Rock", la tuerie déjà présente sur la compilation Soundbombing II, toujours en compagnie de la redoutable rappeuse Unique London, mais en plus sombre et menaçant que le précédent, malgré un piano plus svelte.

Bref, Thirstin Howl applique la même recette. Les seuls changements par rapport à l’album précédent sont l’inclusion de collaborations avec deux des MC’s les plus en vue de ces derniers mois. La première avec Mos Def au cours d'un freestyle enregistré au fond de la salle à droite, dans un placard et bien loin de la scène. La seconde avec une autre star située à l’extrémité opposée du spectre musical hip hop, l’inénarrable et mtvesque Eminem (sorti d'un disque de DJ Spinna). Histoire de démontrer que Thirstin Howl vaut largement ces deux là dans l’art du emceeing.

Malgré le fouillis ambiant, quelques titres parviennent à tirer leur épingle du jeu. Se remarquent également "Stole" et ses plusieurs mouvements tirés des artistes les plus pourris du hip hop, le fond soul de "I Wanna Watch", et ses aveux d’obsédé sexuel, les choeurs féminins de "How Many Babee Movas" ("how many baby movas, too many baby movas !"), un "Spitacular" plus électronique qu’autre chose, la terrible guitare de "Skilled or B Skilled". Mais les meilleurs morceaux sont ceux déjà présents sur le formidable maxi The Polo Rican, à savoir le "Brooklyn Hard Rock 2" déjà mentionné, et plus encore "The Polo Rican", mariage subtil de guitare acoustique et de touches d'orgue.

Au bout du compte, plus resserré, plus constant que Skillionaire, Skillosopher est presque meilleur. Dommage que les freestyles, toujours lourdingues au milieu d’un album, relativisent ce léger progrès, tout comme la propension du MC à privilégier l’exercice de style sur toute velléité musicale. Thirstin Howl III continuera sans doute de cette manière, éternellement, sans le moindre souci de construire une oeuvre. Il aura beau figurer sur tous les Soundbombing du monde, collaborer avec Mos Def, Eminem, ou n’importe quelle superstar, ses enregistrements, invendables, continueront à sortir en auto-produit ou sur des labels obscurs. Inutile donc d’attendre qu’il sorte une grande œuvre, autant acheter d’emblée ses deux albums jumeaux. Car s’ils sont terriblement inégaux et périssables, Thirstin Howl, lui, est un artiste indispensable.

Oui, je sais, c'est exactement la même conclusion que sur le précédent album. Mais c'est normal, puisqu'ils sont parfaitement interchangeables.