C'était prévisible. Début 98, après 5 années de règne sans partage et justifié sur le monde cruel du rap, et au-delà, le Wu-Tang Clan semble sur la pente descendante. Les critiques discrètes apparues dès la sortie de Wu-Tang Forever ont fini par faire leur chemin. Plus que l'album de Killah Priest, le présentable Heavy Mental sorti trois semaines avant et considéré comme un disque mineur, The Pillage fait les frais de ce retour de bâton. Les vertus du premier album de Darryl Hill alias Cappadonna, officieusement 10ème membre des 9, sont en effet, dès sa sortie, sérieusement mises en cause par critiques et fans de base.

CAPPADONNA - The Pillage

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Sans doute est-ce le besoin d'une reconquête, ou tout du moins, d'une nouvelle offensive, qui a incité le rapper à donner à son album le titre agressif de Pillage, alors qu'un Cappachino's Delight était annoncé. Cappadonna en a bien besoin, car il confirme tout au long de l'album qu'il est un performer plutôt médiocre : ni ses rimes à deux sous, ni sa voix faiblarde, ni son phrasé laborieux ne sont vraiment convaincants. La composition et la production sont quant à elles, dans l'ensemble, de meilleur niveau, même si on a souvent l'impression que les Wu-Elements capitalisent leur acquis et leur savoir-faire, plus qu'ils ne se renouvellent. Même les interventions du RZA ne se démarquent pas.

The Pillage collectionne les morceaux typiquement Wu. Trop wu, serait-on tenté de dire. Wu et rewu. Certes, "Slang Editorial", morceau introductif, homogène et dépouillé dans le style du Genius, fait une excellente entrée en matière. Le double gimmick orgue et piano de "Blood on Blood War", et l'inquiétant "MCF", tous deux produits par le RZA, ou encore le cinématographique "South of the Border", renouent avec succès avec des formules éprouvées. Mais dans un style pourtant proche, d’autres flirtent avec l'ennui, à l'image de l'insipide "the Pillage" ou de "Run", son successeur. D'autres, enfin, comme "Supa Ninjaz", morceau minimal en compagnie de U-God et Method Man, "Oh-Donna", avec Ghostface, et le racoleur "Black Boy", qui clôt l'album avec les chœurs de Tekhita, sont tout juste agréables.

On se rassure tout de même avec une collection de morceaux, vers le milieu et vers la fin qui renouent avec les heureuses velléités d'expérimentation du début. Le premier est "Splish Splash", court morceau aux rythmes heurtés produit par Tru Master. Une merveille. De même que la guitare funky et classieuse de l'hymne "Milk the Cow", ou l'harmonica erratique de "Dart Throwing", collaboration fructueuse avec Raekwon et Method Man. Ajoutons à cela les deux plus grandes réussites du RZA sur cet album : un renversant "Young Hearts" empli de synthétiseur et des fantastiques chœurs soul de Blue Raspberry et un offensif "Pump your Fist", où Tekhita se met à rapper comme une enragée. Ou plus curieux, un "Everything is Everything" quasi night-club, produit par Goldfinghaz et où figure un certain Rhyme Recca.

Tout cela prouve que le Wu-Tang sait encore être audacieux. Même si de curieuses tentatives, comme "Check for a Nigga", écho cool et bien trouvé au vindicatif "Shame for a Nigga" d'Enter the Wu-Tang, laissent sceptiques. Au final, ne soyons pas trop alarmistes. Le Wu-Tang n'a pas encore sorti son premier désastre, mais simplement un album dans l'ensemble moins bon que ses fantastiques prédécesseurs. Crise de croissance d'un groupe devenu trop populaire pour faire l'unanimité, dépassé par la vague du hip hop indépendant, ou amorce d'un véritable déclin ? Les sorties du Wu à venir permettront d’y voir plus clair.