Quand il a été jeune, en plus des vexations souvent subies par les hommes de couleur, John Fairbanks a dû endurer une maladie rare qui lui a fait souffrir le martyr. A cause d'elle, on a dû l'amputer d'un bras. Mais qu'à cela ne tienne. Cela ne l'a pas empêché de devenir Semtex, un DJ en vue qui a joué à la Haçienda, animé des émissions sur la radio de "musique urbaine" de la BBC et tourné avec Dizzee Rascal. Le hip-hop l'a élevé, dit-il. Il l'a sauvé, il lui a donné un nom et un avenir. Il lui rend donc hommage avec ce livre dont le titre, Hip Hop Raised Me, ne dit pas autre chose, et qui retrace toute l'histoire de cette culture et de ce genre musical.

DJ SEMTEX - Hip Hop Raised Me

Ce genre d'ouvrage n'est plus aussi rare. Au contraire, l'omniprésence du rap et du hip-hop engendre aujourd'hui un trop-plein, un surplus de livres qui, au bout du compte, racontent souvent la même histoire. DJ Semtex n'y fait pas exception. Ceux déjà dotés d'une culture rap solide n'apprendront pas grand-chose de neuf dans Hip Hop Raised Me.

La perspective aurait pu être originale, en raison de la nationalité britannique de l'auteur. Mais le propos et les choix éditoriaux font preuve d'un certain conformisme. Les albums et les artistes mis en avant, de Public Enemy et de BDP, à Drake et à Kendrick Lamar, sont les mêmes que partout ailleurs. Ce qu'on nous raconte, avec la jubilation de celui qui a trouvé la foi, c'est à nouveau l'épopée glorieuse de cette culture marginale, celle des métèques et des déshérités, qui a conquis le monde. C'est une histoire déjà balisée, qui ne s'encombre ni de détails, ni de critique, ni de révélations.

Le livre est séparé en neuf chapitres mi-thématiques, mi-chronologiques : l'avènement des DJs, le Golden Age de la fin des années 80, la prédominance du rap à partir de la décennie 90, les beefs et conflits qui ont accompagné le succès, l'abnégation et la persévérance de ceux qui ont réussi, les rapports entre le hip-hop et l'accession d'Obama à la Maison Blanche, l'apparition de scènes rap non américaines, le statut compliqué des rappeurs blancs, et le rôle central de la cooptation dans l'édification de véritables empires du rap. Cependant, tous ces textes sont pauvres et superficiels.

DJ Semtex, par exemple, présente l'émergence de scènes rap étrangères aux Etats-Unis comme une invasion. Toutefois, les artistes qu'il convoque pour illustrer le propos sont bien rares, et parfois parfaitement anecdotiques. Seul Drake, l'unique superstar non-étatsunienne du rap, semble lui donner raison. Et dans une moindre mesure Iggy Azalea, qui occupe quasiment seule tout l'espace réservé au rap australien (alors que toute sa carrière s'est faite sur le sol américain).

Le texte, toutefois, n'est pas l'essentiel. Hip Hop Raised Me n'a pas été publié par hasard chez Thames & Hudson. Cet éditeur, en effet, est spécialisé dans les beaux livres, riches en images et en illustrations. Et c'est exactement comme cela que se présente le travail de DJ Semtex. C'est un objet massif, dont l'essentiel des pages sont réservées aux photos.

Certaines sont sans grand intérêt. Se contentant de reproduire les pochettes de tous les albums de tel ou tel artiste important, elles sont du remplissage. Mais d'autres sont plus originales, puisqu'elles sont des clichés méconnus pris pendant les tournées britanniques de rappeurs américains. On y trouve aussi quelques graphiques ludiques, par exemple une chronologie en plusieurs pages de l'histoire du hip-hop, ou une présentation des impressionnants réseaux d'artistes bâtis par des poids lourds tels que Dr. Dre, Birdman et Jay-Z.

Hip Hop Raised Me est aussi l'émanation, comme la plupart des livres aujourd'hui sur le marché, de la vieille génération de fans, celle qui s'est passionnée pour le rap dans les années 90. DJ Semtex accorde la part du lion à cette époque, ne réservant aux artistes plus récents, en tout cas ceux les plus exposés médiatiquement, qu'une portion congrue.

La préface signée Chuck D, les louanges de Raekwon et de Ghostface Killah, montrent bien qu'il s'agit d'un livre pour quadras et quinquas. D'un côté c'est logique. Ce n'est que qu'après 2030 qu'on pourra lire des analyses fines et fouillées des années 2010. Mais cet effort incessant de sanctification du hip-hop d'autrefois finit par lui faire sentir fort le sapin.

Le sapin, justement, ce livre lui est destiné. Il n'est pas un document, une enquête ou un essai. Il est un cadeau parfait pour le soir de noël. Il est un bel objet à offrir à son tonton fan de rap. Il est ce que Danny Brown présente en quatrième de couverture, une bible du hip-hop bien enluminée, qui aura de la gueule dans n'importe quelle bibliothèque.

Acheter ce livre en VO
Acheter ce livre en VF