Continuum :: 2006 :: acheter ce livre

On peut déplorer qu’une telle initiative fasse entrer le rock au musée. Il ne doit plus se passer grand-chose de passionnant musicalement parlant, en effet, pour qu’on veuille ainsi sacraliser les albums du passé et les analyser avec révérence.

Mais cette collection, en même temps que les nombreux livres sur la musique parus ou traduits récemment, marque aussi une soif de contenu et de recul. A l’ère où Internet privilégie le zapping et les formats courts, à l’heure où la presse musicale sur papier court bêtement après le format blog, privilégiant des couleurs flashy, des critiques creuses et des textes de deux lignes, il nous faut un lieu où satisfaire nos envies d'articles de fond, d’interviews fleuve et de longues analyses.

La formule 33 1/3 répond à un véritable besoin, comme le montre son succès. A ce jour, 65 volumes sont disponibles, traitant en détail tel ou tel album phare, et une trentaine d’autres sont attendus dans les deux prochaines années. Ils parlent bien entendu d'artistes très grand public (ABBA, Céline Dion) ou de rock-à-papa (les éternels Dylan, Beatles, Stones, Byrds, Pink Floyd…), mais aussi de références plus récentes et pas forcément toutes connues de nos grands-mères (Afghan Whigs, Elliot Smith, Guided by Voices, My Bloody Valentine), sans oublier quelques rappeurs (A Tribe Called Quest, Nas, Beastie Boys, et bientôt le Wu-Tang).

Personnellement, j’ai voulu lancer ma découverte de la collection avec le livre que Kim Cooper, rédac' chef du fanzine Scram, co-auteure de deux autres ouvrages sur la musique (Lost in the Grooves, Bubblegum Music Is the Naked Truth), a consacré à In the Aeroplane over the Sea. Inutile de commencer par des œuvres dont on sait déjà tout ou presque, du premier Velvet à OK Computer. Non, mieux valait m’intéresser au grand classique de Neutral Milk Hotel, un disque que j’ai, que je connais, que j’apprécie, mais dont j’ai du mal à comprendre le statut actuel (affaire de génération sans doute), sinon en constatant l'étendue de son influence sur des artistes des années 2000, comme Arcade Fire ou les Decemberists.

C'est donc sur cet ouvrage que j'ai jeté mon dévolu, espérant que Kim Cooper allait me donner la clé qui me permettrait d’apprécier Neutral Milk Hotel à sa juste valeur. Malheureusement, au bout du livre, ce n’est chose qu’à moitié faite.

Complexe, cryptique, chargé de sons inhabituels (ces allures de fanfare...), In the Aeroplane over the Sea s’expose sans mal à de nombreuses interprétations, en particulier s’il faut chercher un sens aux paroles surréalistes et alambiquées de Jeff Mangum, des paroles où se mêlent étrangement images oniriques, évocation du fantôme de la petite Anne Frank et religiosité (ce fameux et dérangeant "Jesus Christ I love you, yes I do" qu’il déclame de façon déchirante).

Mais à part un très court chapitre où elle commente chaque morceau, et un autre où elle dissèque la pochette, Kim Cooper se refuse à cet exercice d'analyse :

When I first proposed writing about In the Aeroplane under the Sea, I told the folks at Continuum that I wasn’t interested in subjecting the album to a literal-minded line analysis, sucking all the mystery out of the lyrics and spoiling their effects. (P. 68)

Son livre prend donc la forme très classique de la biographie. Loin de s’attarder sur l’album seul, Cooper détaille son histoire, celle de Jeff Mangum, de ses débuts musicaux à la vie de reclus qu’il s’est choisie après la sortie de In the Aeroplane…, celle du groupe à géométrie variable qui s’est formé autour du chanteur, et au-delà, celle du label Elephant 6 et de la scène d’Athens dans les années 90.

Elle en reste à une description chronologique et factuelle, avec son lot d’anecdotes amusantes et de détails parfois superflus. Elle ne s'essaie à aucune mise en perspective sociale ou esthétique, elle ne situe pas l’album dans l’histoire du rock alternatif américain, elle n’explique pas à quel point il a représenté une rupture et pourquoi il est devenu si influent et si coté dans les années 2000, se vendant bien plus sur le long terme (on en était à 140 000 exemplaires en 2006) qu’à sa sortie.

Le grand regret, à la lecture de ce volume de la série 33 1/3, c’est qu’il n’apporte aucun éclairage, qu’il n’explique rien ou presque sur In the Aeroplane..., qu'il n'en dissipe aucun mystère. Mais après tout, pour reprendre l’argument de Cooper, peut-être valait-il mieux ne pas casser la magie de l'album en faisant de ce bouquin un exercice scolaire laborieux et tue-l’amour façon mémoire universitaire.