Ne vous fiez pas au titre très "rap conscient". Sorti chez RAL Records, une émanation de Def Jam, le deuxième et meilleur album du duo Nice & Smooth ne donnait pas dans le hip-hop à messages, pessimiste et sentencieux. C'était même plutôt le contraire. Au moment où New-York préparait sa riposte, avant qu'il ne batte les gangsters californiens à leur propre jeu avec un rap de rue austère et plus sérieux que la mort, Greg Nice et Smooth B perpétuaient pour quelques temps encore l'esprit joyeux et insouciant de la old school et du Golden Age.

NICE & SMOOTH - Ain't a Damn Thing Changed

RAL Records / Def Jam :: 1991 :: acheter cet album

Côté beats, le duo donnait encore dans une musique up-tempo sautillante et funky, voire mélodique. Nos rappeurs, en effet, n’avaient rien contre les refrains accrocheurs. Ils le montraient dès le bien nommé "Harmonize". Ils n'étaient pas hostiles non plus aux jolies boucles de guitares, par exemple celle du "Fast Car" de Tracy Chapman, sur "Sometimes I Rhyme Slow", le single qui les a popularisés, et ils ne cessaient de parsemer leurs titres de chœurs suaves ("Harmonize", "How to Flow", "Hip-Hop Junkies"). Et ils osaient aussi une escapade réussie dans le raggamuffin jamaïcain sur un "Paranoia" tout en saxophone scintillant.

Côté paroles, les périls du ghetto apparaissaient parfois , en arrière-plan, comme avec les vers sur la drogue entendus sur "Sometimes I Rhyme Slow". Mais c'était loin d'être le cœur du sujet. Nos deux rappeurs préféraient, sans misogynie, se lancer dans une chronique de l'infidélité et de la jalousie ordinaires ("Cake & Eat It Too"), s'adonner aux plaisirs du sexe ("Sex, Sex, Sex"), donner dans un égo-trip bon enfant et évoquer des images surréalistes ("How to Flow"), ou inviter toute une ribambelle d'amis, parmi lesquels un certain Guru, sur un posse cut léger ("Down the Line"), déclamé dans un style battle purement ludique.

Les deux compères, jouant de leurs voix complémentaires, l'une tranchante (Greg Nice), l'autre plus cajoleuse et nonchalante (Smooth B), n'avaient encore d'autre but que d'exhiber leurs talents au micro. Ce n'était donc pas le titre, décidément, qui annonçait le mieux le contenu de ce disque réjouissant, mais plutôt la pochette, avec son soleil couchant. Sur cet album, en effet, brûlaient les derniers feux d'un esprit festif qui allait disparaître de New-York, quand la capitale du hip-hop s'enfoncerait pour longtemps dans la nuit d'un rap dur, froid et hostile.