Des cris de mouette, le ressac de vagues, une corne de brume, le bois d’un vieux rafiot qui craque. Et puis, pour paraphraser l’autre, le son déchiré d'un accordéon rance ("Wait The Ships Come Back"). Toute une série de bruitages pour signifier que le thème de cet album tournera autour de l’eau, de la mer, du voyage. Ensuite, une guitare, des cordes tristes, un tempo effroyablement lent, puis une voix, morne et grave, alternant entre des couplets façon spoken word et un refrain aux faux airs de Tom Waits ("The Whale"). Une curiosité synthétique, sorte de sonar bizarre, qui nous plonge dans les profondeurs sous-marines ("320m To The Surface").
Dès le début de leur deuxième album, le premier à s’être frayé un chemin jusqu’en France, le plus réussi, aussi, Migala balaie tout ce que l’on croyait savoir de la musique espagnole. Pour nous, pauvres touristes, elle se résume à quelques souvenirs d’été festifs, aux rythmes frénétiques de la makina, ou au très démonstratif flamenco. C'est à cela que nous sommes préparés. Mais pas aux mélodies amères et lentes de cet étonnant sextet madrilène.
Tout à coup, Migala révèle qu’en Espagne, existe une scène cousine du rock éthéré et neurasthénique de San Francisco, ou du néo-folk aride et désolé de Will Oldham et de son Palace ("On Not Given Farewells...", "When I Go, I Go") ; qu’il y a des artistes capables d’instrumentaux doucement expérimentaux dans la lignée du post-rock (témoin la lente introduction de "Low of Defenses", ou les violons et synthétiseur de "Guetaria") ou de petites ritournelles rétro dans un style très Yann Tiersen ("Dactylographique") ; que le spleen a sa place au pays du soleil éternel, que Smog et Bill Callahan ont égaré quelques cousins à Madrid.
Et il ne s’agit pas de vils copieurs. Non. Le magnifique et morriconien "Gurb Song", le délicat "Ancient Glaciar Tongues", un "Regular Storm Sounds" presque up-tempo, sont de vrais bons titres poignants et originaux. L’album est d’une consistance et d’une solidité à toute épreuve. Les piano, accordéon et violon sont dosés avec précaution, ils colorent les guitares aux moments les plus fortuits. Comme le confirmera la distribution de l'album suivant, Arde, par le label Sub Pop, Migala a toute sa place parmi ses homologues américains, il est leur égal.