LELO – New Detroit
La grande invasion du rap de Detroit, c’était il y a dix ans, plus ou moins. Et depuis, il a bien changé. Alors que le son local a commencé à essaimer aux Etats-Unis et ailleurs, il a aussi absorbé des influences exogènes, il est devenu moins spécifique. A mesure qu’elles ont été exposées et qu’elles sont devenues des Freshmen (42 Dugg, BabyTron, BabyFace Ray et Skilla Baby l’ont été), les stars de la ville ont fini par se normaliser, souvent. A l’heure de l’après-Veeze, ce n’est plus le son haletant et dangereux de la rue que l’on entend. Plus seulement. Il y a plus de lenteur, plus de murmures, plus d’introspection, plus de posture arty. Bref, il y a aujourd’hui un nouveau Detroit.
New Detroit. Tel est le nom d’un morceau de Lelo, sur son EP de l’an dernier Nightingale. Et tel est le nom de son dernier album. Khalil Jewell, de son vrai nom, a commencé à faire son trou autour de 2020, avec des singles remarqués sur TikTok (il garde de cette origine sur le fameux réseau social, des morceaux tous très courts, dépassant rarement les trois minutes). Cela lui a valu une signature chez 10K Projects, filiale d’Universal, et à travers ce puissant partenaire un titre à succès, « No Contempt », en 2024, suivi d’un album disposant d’une confortable couverture dans les médias spécialisés.
Ce New Detroit est partagé entre plusieurs mondes. Il garde des traces de l’ancienne formule : le vocabulaire de la rue et du sexe, ces pulsations électriques qui tiennent lieu de rythme. Et il apporte ainsi quelques nouvelles pièces de choix à cette tradition. « Good for Your Health », par exemple, sent bon l’asphalte avec ses sirènes de police et ses aboiements, et on reconnait la patte de Top$ide dans les nappes de « Call It ». Mais quelques-uns des moments saillants de cet album, « Mourning Money » par exemple, n’ont plus grand-chose de local. Lelo confesse des influences extérieures, Earl Sweatshirt notamment. Il s’offre les services de beatmakers prisés des esthètes, tels Tony Seltzer, qui avait produit avant l’album le titre « Pot Of Greed », et qui contribue ici à un autre, « Sudden ».
Le rappeur s’inspire aussi de la tradition locale des musiques électroniques, house et ghettotech, et cela aboutit à quelques perles, comme l’étrange « Forever In A Day ». Mais combinés à son phrasé languissant hérité de BabyFace Ray ou Veeze, et aux ambiances feutrées installées par l’Américano-Taiwanais Shogun, ces choix produisent une musique désincarnée, à rebours de l’énergie brute qui avait fait la singularité de Detroit. Lelo est allé récemment à la Fashion Week de Paris, comme y fait allusion le morceau nommé d’après la ville. Et de fait, sa musique pourrait être celle d’un défilé de mode.
A ce qu’il parait, le Nouveau Detroit désigne à l’origine la gentrification de l’ancienne métropole industrielle américaine. Si tel est le cas, alors ce nom s’impose bel et bien au style moins brut et moins viscéral qu’autrefois, défendu aujourd’hui par la nouvelle génération, et par Lelo.