Z-RO – Solid
Si Joseph McVey a choisi un pseudo aussi modeste que Z-Ro, à contre-emploi dans le monde fanfaron du rap, c’est parce qu’il estime être venu de rien. Son pédigrée est de ceux qu’apprécie la mythologie hip-hop, celui du jeune garçon désœuvré qui a commencé dans le deal et la délinquance, avant de se faire un nom au micro. Dans le cas du Texan, cependant, le parcours a été spécialement glauque. Il a commencé par la perte de sa mère à six ans, ce qui l’a amené à être bringuebalé d’un proche à l’autre, puis il s’est poursuivi par des agressions et des séjours en prison.
Cet homme a dégusté. Aussi, logiquement, sans jamais avoir connu de grand destin national, a-t-il été l’un de ceux qui, dans les années 2000, ont exploré le registre du gangster vulnérable qui ne rechigne pas à parsemer ses raps de refrains chantés. Et en 2016, une vingtaine d’années après ses débuts au sein du Guerilla Maab, puis de la Screwed Up Click de DJ Screw, près de quinze après que le nabab du rap de Houston J. Prince lui a ouvert les portes de Rap-A-Lot, Z-Ro en est toujours là.
Solid (ou S O L I D) est un projet au format indéfini, une sorte de EP digital, typique de notre époque. Mais son contenu, lui, est sans ambigüité : c’est du Joseph McVey à son sommet. Plus que jamais, c’est un rap extraordinairement musical, fort de sonorités soul chaleureuses. Même si Z-Ro s’adonne encore, ci et là, à un phrasé accéléré, il force encore plus que d’habitude sur ces refrains irrésistibles qui sont sa marque de fabrique. Dès le premier morceau, « But It’s Okay », il ne laisse presque plus le soin de rapper qu’à son invité, Pook P. Ses chants empiètent même franchement sur les couplets.
Mais son ton suave et ses chants doucereux sont en trompe-l’œil. Ses paroles sont celles d’un homme de la rue. Aussi, elles abordent souvent le thème adulte par excellence, celui des conflits de couple. Le bientôt quadragénaire, toutefois, en traite sur le mode ghetto, avec condescendance et misogynie, en homme dur que rien n’atteint, comme sur « Act Like That », qu’il conclut ainsi :
Won’t pay your rent,
Won’t buy your clothes,
Won’t even cook your dinner boo,
I’m just tryna go up under ya skirt…
Je vais pas payer ton loyer,
Je vais pas t’acheter des fringues,
Je vais pas faire ton dîner,
Je cherche juste à aller sous ta jupe…
Z-Ro a des états d’âme, mais il vient d’un monde où il faut se montrer invulnérable et froid.
Comme il le répète sur « But It’s Okay » :
Sometime I think I’m really bout to lose my mind,
But I’ll never lose my faith.
Parfois je crois que je vais vraiment perdre la tête,
Mais jamais je ne perdrai la foi.
Sur Solid, le rappeur joue mieux que jamais de ce contraste. Qui plus est, la durée courte de ce projet accroit son impact, de même que sa construction en crescendo. Les morceaux les plus marquants, en effet, sont placés à la fin, comme « Thru The Roof », avec le vétéran B.G., augmenté au refrain d’une guitare sexy, cet « I Time » qui nous offre une vue sur les affres du délinquant, et cette apothéose, « Comin’ Dine », qui emploie avec adresse les effets screwed typiques de sa scène d’origine.
Cet EP s’appelle « solide », mais il mérite un qualificatif encore plus fort. Par exemple, celui que Z-Ro emploie pour nommer l’un de ses morceaux : « Legendary ». Cette sortie est digne d’un rappeur qui, après tant d’années d’excellence, mérite enfin d’être reconnu comme une légende.