YOUNG BUCK – Straight Outta Ca$hville

L’une des particularités de 50 Cent, c’est qu’il a intégré au rap new-yorkais des éléments venus de la scène sudiste, alors en plein essor. Son personnage démesuré, ses allures de gangster impénitent, ses sons synthétiques plus conciliables avec le club que le très aride rap de rue East Coast… Tout cela, pour partie, vient de là-bas. Il était donc logique qu’il accueille dans sa clique quelqu’un issu pour de bon de l’autre côté de la ligne Mason-Dixon : David Brown, alias Young Buck, un rappeur qui avant cela a frayé avec Baby et Cash Money, côtoyé Juvenile, son mentor, et collaboré avec Three 6 Mafia. En 2003, celui-ci figure sur Get Rich Or Die Tryin‘. Quelques mois plus tard, en l’absence de Tony Yayo, incarcéré, il joue les premiers rôles sur Beg For Mercy, l’album de la G-Unit. Et l’année d’après, il délivre un opus qui fait honneur à ce qui est alors la confrérie la plus en vue du rap américain.
Young Buck a toute sa place au sein de la G-Unit. Comme il le montre sur Straight Outta Ca$hville, il exploite exactement le même registre gangsta étincelant. C’est patent dès le lourdaud « I’m A Soldier », qui ouvre l’album avec le déclic et la détonation d’une arme à feu, des sons de bris de verre, de la grosse musique très synthétique, un ghetto décrit comme une zone de guerre et les refrains chantonnés du maître 50 Cent. Cette pose de guerrier, cette prose de soldat, Young Buck les a aussi sur « Black Gloves ». Il est rude. Il est question de meurtre sur « Bang Bang ». A en croire « Prices On My Head », avec Lloyd Banks, le rappeur évolue au centre d’un monde menaçant, exposé à la haine et à la jalousie. Sur le revanchard « Look At Me Now », il se dépeint comme un survivant, comme celui qui, par son dur labeur de voyou, a su déjouer tous les pronostics et toutes les adversités. Et sur « Do It Like Me », il se présente comme quelqu’un qui s’est fait tout seul, à la force de son poignet.
Comme Young Buck le dit sur ce même titre : dans la jungle, on ne peut se permettre d’être humble. Le rappeur, en effet, est lui aussi un fier-à-bras, un vrai dur. Pour preuve, il est passé par le même rite initiatique que d’autres membres éminents de la G-Unit : comme 50 Cent et The Game, il a survécu quelques années plus tôt à un assaut par balles. Et juste avant la sortie de Straight Outta Ca$hville, compromettant sa promotion, il a été empêtré dans la sale histoire des Vibe Awards, cette cérémonie de remise de prix où, pour venger Dr. Dre d’une agression, il a attaqué son assaillant au couteau.
Young Buck est tel qu’il s’affiche sur l’éclatant « Walk With Me » : il est un incurable bandit de la G-Unit. Cependant, il n’oublie pas d’où il vient. Paraphrasant le titre de l’album de N.W.A., le sien convie l’auditeur dans sa cité de Nashville. Il l’invite dans son monde. Et son monde, c’est un Sud sale et dangereux, comme il le dit sur « Welcome To The South », avec deux rappeurs éminents de la région, David Banner et Lil’ Flip. Ces quartiers pauvres et délabrés dont il parle, sont bien ceux de sa ville.
Ses origines s’entendent aussi dans les sons, notamment ceux des singles : les cloches et les guitares du soutenu « Let Me In », à propos de gangsters qui déchirent tout dans le club, et ce funky « Shorty Wanna Ride » produit par Lil Jon, qui parle de prendre du bon temps dans sa Chevrolet avec une bonne dose d’alcool et de filles. Tous deux ont la saveur du Sud, comme « Stomp » avec Ludacris et The Game, avec ses histoires de mac et de bagnole, un titre produit comme l’efficace « Taking Hits » par DJ Paul et Juicy J, et qui rappelle le titre homonyme de leur propre groupe, la Three 6 Mafia.
D’autres temps forts s’ajoutent à ceux-là, comme ce « Bonafide Hustler » au son plus new-yorkais avec ses boucles et ses cordes soul. Il y a aussi la façon admirable dont « Bang Bang » et « Thou Shall » jouent, l’un du sample de la chanson du même nom de Nancy Sinatra, l’autre d’une mélodie en russe signée Andrei Vinogradov. Tout cela fait de ce Straight Outta Ca$hville admirablement produit le meilleur opus de la G-Unit depuis celui de 50 Cent. Fâché avec ces derniers, mais tenu par son contrat chez eux, Young Buck peinera ensuite à sortir d’autres albums, jusqu’à une réconciliation tardive. Il n’y en aura qu’un autre, bien moins coté. Mais qu’importe. Le premier aura été le bon.