UNDERWORLD – Dubnobasswithmyheadman

Underworld a traversé quelques moments mainstream. Le plus important, c’est quand le titre « Born Slippy » a été choisi pour intégrer la bande-son du film Trainspotting, et que ses paroles traitant d’alcoolisme (« lager, lager, lager, lager »), se sont mises à retentir à travers toute l’Europe, et même au-delà. Un autre, c’est quand ils ont été désignés pour diriger la musique de la cérémonie d’ouverture des Olympiades de Londres, en 2012. Aucun de ces temps forts, cependant, ne serait survenu sans la sortie de Dubnobasswithmyheadman, leur chef d’œuvre, au début de l’année 1994.
Le grand mérite de cette sortie, c’est de faire passer le cap de l’album aux musiques électroniques, de faire entrer dans ce format contraignant des sons qui se sont épanouis dans l’atmosphère plus libre des discothèques et des rave parties. Et si elle y parvient, c’est qu’à l’image d’Orbital, ou plus tard des Chemical Brothers et de Daft Punk, le groupe a d’abord fait ses preuves dans le pop rock.
Au début des années 80, sous le nom de Freur avant de se baptiser Underworld, il a sorti des albums de new wave, de synth pop et de funk blanc. Peu avant de prendre un virage électronique, Karl Hyde et Rick Smith faisaient une tournée américaine avec Eurythmics, et le premier travaillait avec Debbie Harry et Chris Stein de Blondie. Toutefois, pendant que Karl Hyde resterait aux Etats-Unis, Rick Smith reviendrait en Angleterre, et il se lierait avec Darren Emerson, un DJ de dix ou quinze ans leur cadet. Tous les trois se passionneraient alors pour des musiques électroniques en pleine furie créatrice à travers la Grande-Bretagne, et ils réactiveraient Underworld autour de cette nouvelle passion.
Dubnobasswithmyheadman en est le premier résultat. Celui-ci, malgré sa durée (plus de soixante-douze minutes, toute de même) s’écoute sans discontinuer. Il est rempli de tubes, et on peut en jouir bout à bout, reclus dans sa chambre, tout comme sur une piste de danse. Cependant, il ne s’agit pas d’un disque de rock inspiré par la scène rave, comme ont pu en sortir les Stone Roses, Primal Scream ou les Happy Mondays. Non, cet Underworld est un véritable album de musique électronique.
On entend quelques sons de guitare, par exemple sur ce « Tongue » qu’on pourrait qualifier de dream pop, mais ils sont rares et ornementaux. Il y a des paroles aussi, qui évoquent l’amour, la sensualité (« Dark & Long »), voire la sexualité (« Dirty Epic »), ou bien le séjour récent de Karl Hyde aux Etats-Unis (le formidable « Mmm Skyscraper… I Love You », avec ses histoires de gratte-ciels et d’Elvis, « Cowgirl » avec ses accents country). Mais évasives, erratiques, éparses et aléatoires (tout comme le titre de l’album, un texte de Smith mal lu par Hyde), parsemées de langue étrangère (du japonais) sur « M.E. », répétées avec la même insistance que les boucles musicales sur « Spoonman » et « Cowgirl », elles participent de la transe plutôt qu’elles ne sont l’attraction principale.
Ce n’est plus de la synth pop, la matière est principalement house, techno ou ambient, avec quelques éléments dub comme sur le génial « Dirty Epic ». Les titres sont de vrais morceaux de danse, longs et hypnotiques, portés par la répétition et l’évolution progressive des motifs. Mais parce qu’ils agencent avec science les moments soutenus et les plus contemplatifs, parce qu’ils construisent adroitement leurs crescendos, parce qu’ils dosent habilement bangers pour clubs et morceaux chill-out, parce que même quand ils se passent de paroles, ils bâtissent des chansons, les membres d’Underworld ont résolu la quadrature du cercle. Ils nous abandonnent autant à la danse qu’au plaisir solitaire.