PNL – Que la famille

Quoi qu’on dise des spécificités du rap français, du fait qu’il soit un sous-genre en soi, doté de ses traits propres, son regard reste tourné vers son père américain. PNL, la sensation de l’année 2015, en témoigne. Le duo de la cité des Tarterêts s’inspire d’évolutions venues de l’autre rive de l’Atlantique. Sur Que la famille, un album sorti en mars et qui ne cesse depuis d’alimenter le buzz, on retrouve des chantonnements et des postures de gangster dépressif, comme chez Future et d’autres figures de la scène post-trap d’Atlanta. On y entend aussi les nappes synthétiques du cloud rap, ainsi que les sons et onomatopées de la drill de Chicago. Le titre, d’ailleurs, évoque le Only the Family de Lil Durk.
Ademo et N.O.S, deux frères, s’adonnent à ce rap triste, à ce nouveau blues de dealers aujourd’hui établi, aux Etats-Unis. Avec eux, c’est encore le cadre du rap français, celui de la cité. Ce sont des histoires dures parlant sans ambages de drogues, de ventes illicites, et parsemées d’argot. Mais elles sont racontées sur un mode sombre et déprimé, où craque la façade : le machisme, la frime et la délinquance y apparaissent comme des expédients, comme une réponse au malaise causé par l’ennui et par le manque d’affection. Ce dernier, l’abandon et la détresse sentimentale sont les vrais thèmes de l’album. Ils sont abordés de front, ou bien en évoquant Mowgli, Simba et Végéta, des personnages de Disney et Dragon Ball Z qui ont en commun d’avoir été abandonnés enfants dans un monde sauvage. Les seules façons d’y répondre, pour PNL, les derniers refuges, c’est la dureté, l’insensibilité apparente, et l’esprit de clan. Ce sont les frères et la famille qu’on s’est choisis. Que la famille.
Pas morales, mais pas basées non plus sur une posture de Musclor, les paroles de PNL sont fortes. Et le plus admirable, c’est qu’elles sont sublimées par la musique, comme rarement dans un rap français où textes et punchlines ont souvent la primauté. Ce ne sont pas tant les beats qui font la différence. Il reste encore un peu trop de copié-collé des modèles américains, comme ces « ounga ounga » inspirés de Chief Keef et consorts, et employés avec trop de systématisme. Non, ce qui est décisif ici, c’est l’usage de l’Auto-Tune. Ademo et N.O.S ont appris à s’en servir, ils ont apprivoisé cet engin encore honni par beaucoup. Avec eux, ce n’est plus un cache-misère, ni un gadget importé d’Amérique, mais un moyen de souligner leurs failles par des raps mélodiques et fragiles, une façon de marquer que leurs paroles sont du vrai jus de tripes, un sang bourbeux, jailli d’un cœur à vif.
L’Auto-Tune est une constante, mais la musique de PNL est loin d’être monolithique. Entamé avec son titre le plus fort, « Je Vis, Je Visser », et clos par son plus original, « Simba », Que la famille offre dans l’intervalle plusieurs déclinaisons à la formule. On retrouve une ambiance lourde et gothique, à forte influence drill music, sur « Différents », une chronique urbaine sur fond ambient sur « Obligés de prendre », un posse cut mélancolique sur « De la fenêtre au ter-ter », une mélodie minimale au piano sur « Athéna », le seul autre titre avec des invités, un sample chipmunk soul sur « PNL » , et puis surtout beaucoup de spleen, que les deux frères accentuent par une musique atmosphérique, comme avec les très bons « J’comprends pas », « La petite voix » et « Recherche du bonheur ».
Cet album est une telle réussite qu’il s’est fait un chemin rapide. Il a surgi très vite des profondeurs du Web pour convaincre les médias les plus institués. PNL est même en voie de conquérir des publics habituellement rétifs au rap français. D’ailleurs, n’est-ce pas la première fois depuis longtemps que le présent blog se penche sur un disque rap venu d’ici ? Et qu’en plus, il en dit du bien ? Certains adeptes de rap français, abonnés aux thèmes de la cité et de la bicrave, en trouveraient presque cet engouement suspect. Mais non, ce n’est pas suspect. Au contraire, c’est un signe.